• Une tisane pour l'enfer (François Maillet)

     

     Une tisane pour l'enfer

    François Maillet

    LIRE DES MANGAS

     

     

    Ce véhicule semblait être sorti des ténèbres, il était arrêté à une intersection, il ressemblait au cavalier de la mort, comme si Salvador Dalí avait reproduit son œuvre sur cette camionnette. Ce jour-là la voiture de Monsieur et Madame Kidal se dirigeait vers ce croisement. C’était un couple qui était marié depuis sept-ans, ils étaient heureux de voir grandir leur fille Christel. C’était son anniversaire, elle venait d’avoir cinq ans, ils lui avaient acheté une magnifique poupée qui pouvait, marcher et parler. Christel était restée chez sa grand-mère. Il était dix-sept heures vingt quand la voiture de ses parents franchissait le milieu de la croix que formait les deux routes, c’est alors que la camionnette démarra et faucha avec une extrême violence leur véhicule qui s’écrasa contre un platane. Pour Henriette Kidal ce fut une terrible épreuve de perdre son fils et sa belle-fille. Christel regardait sa grand-mère.

    — Tu as mal, mamie ? Pourquoi, tu pleures ?

    — Viens ma chérie, viens t’asseoir sur mes genoux. Il faut que je t’annonce une bien triste nouvelle, ton papa et ta maman ont eu un accident de voiture. Tu te souviens quand nous avons trouvé l’oiseau mort, tu m’avais demandé pourquoi il ne pouvait plus voler ? Pourquoi il ne respirait plus ? Je t’avais expliqué que son cœur s’était arrêté de battre, c’est pour cela qu’il ne pouvait plus bouger, alors, tu m’avais répondu : « Il va pouvoir dormir pendant longtemps, il n’a plus besoin de nous maintenant. »

    — Oui ! Je m’en souviens, mais, papa et maman, ils reviennent quand ? Je voudrais avoir mon cadeau.

    — Écoute mon trésor, ce jour-là, je t’avais dis que pour les êtres humains, cela se passe de la même façon, il faut que tu saches que tes parents ne pourrons plus revenir, maintenant, ils sont comme l’oiseau leur cœur s’est arrêté de battre, ils n’ont plus besoin de nous.

    — Tu es une menteuse ! C’est pas vrai ! Ils m’ont dit à ce soir en me faisant un gros bisou et puis s’ils ne veulent plus revenir, c’est parce que j’ai désobéi, je n’ai pas été gentille avec eux. Mamie, toi aussi, tu vas me laisser toute seule ?

    — Oh non ! Je vais m’occuper de toi pendant très longtemps. J’ai une idée ma chérie, nous allons faire quelque chose que tu aimes, tu vas venir avec moi, nous allons choisir les plus belles photos, ensuite, tu pourras faire un magnifique cahier photos pour maman et papa, je le poserais à côté d’eux, je te le promets. Tous les soirs avant de nous endormir, nous ferons une prière, tu pourras leur raconter ce que tu as fait dans la journée. Pour finir, nous déposerons dans le creux de nos mains, plein de grosses bises que nous lancerons par la fenêtre en criant : « C’est pour vous, maman, papa. » Viens près de moi mon petit amour, viens tout près de mon cœur.

    Pendant longtemps Henriette a rassuré Christel en étant à l’écoute de ses émotions, elle lui a permis d’avoir petit à petit de nouveaux repères, même si parfois des larmes se glissaient entre les mots pour les bousculer. Maintenant, elle était seule à élever sa petite fille, sans travail les fins de mois étaient parfois bien difficiles. Heureusement, elle avait la chance de bien connaître les plantes médicinales. Les gens venaient de très loin pour se faire soigner. Pour la remercier, ils lui donnaient un peu d’argent, chacun donnait ce qu’il voulait. Christel avait grandi, huit années s’étaient écoulées. Faire les courses pour elle, était un moment désagréable, surtout quand elle savait que les aliments qu’elle mettait dans son panier, elle ne pourrait pas les payer. Elle ressentait de la honte, mais Josette l’épicière lui disait souvent : « Ne t’inquiète pas, je marque sur l’ardoise et à la fin du mois Henriette me règle l’addition. » Josette marquait sur son ardoise, certains produits étaient ignorés, c’était sa façon à elle de leur rendre un petit service. Heureusement, Christel avait sa meilleure amie Tara qui était toujours là, elles étaient comme des sœurs, du matin jusqu’au soir, elles étaient ensemble. Elles avaient le même âge, Tara était une petite fille fragile, elle était asthmatique, sa présence était très importante pour Christel. Pour les deux enfants, la grande porte vers l’avenir était ouverte. Elles habitaient à Arcachon, leur maison était mitoyenne. Pour se baigner, elles recherchaient toujours des endroits désertés par les adultes. En voulant attraper un petit chat noir avec des tâches blanches, elles avaient découvert une minuscule plage qui était cachée par de gros buissons. Le sable était magique, les vagues venaient le caresser avec une grande douceur, c’était leur petit Paradis. Mais un jour, alors que Christel se baignait, un vieux pervers est arrivé doucement près de Tara. Elle était allongée sur le ventre, elle avait dégrafé le haut de son maillot de bain, les rayons du soleil lui réchauffaient légèrement le dos. L’homme s’installa doucement près de Tara en lui disant : « Si tu veux, je vais te mettre un peu de crème sur ta peau, je ne vais pas te faire de mal, j’ai les mains très douces, tu n’as pas peur de venir ici toute seule ? » La pauvre petite fille sursauta, son corps se mit à trembler, elle était paralysée par la peur. Christel, qui, était toujours dans l’eau, l’interpella : « Eh ! Espèce de vieux cochon, je vais prévenir la police, laissez-la tranquille. » L’homme surpris se volatilisa très vite dans la nature. Depuis ce jour, elles ne sont jamais revenues sur cette plage qu’elles adoraient. Parfois, elles aidaient Henriette à cueillir des fleurs et à préparer des potions miraculeuses. Christel était très douée pour faire certains mélanges de plantes, Tara, elle aussi, savait choisir des fleurs, pour lutter contre les petites maladies. C’est en se promenant qu’elles découvraient les plantes les plus rares et surtout les plus efficaces. Les parents de Tara travaillaient pour Monsieur George Marchand, un homme d’affaires, il était le propriétaire de plusieurs hôtels luxueux sur le Bassin d’Arcachon. C’était un homme très dur, les sentiments, la gentillesse, il ne connaissait pas. Souvent, il demandait au papa de Tara : « Alors ! Votre erreur de jeunesse, elle pousse bien ? » Il notait ses salariés d’une drôle de façon, il avait dessiné un feu tricolore et dans l’alignement de ce feu, il inscrivait leur nom. Celui qui se trouvait dans la case verte était tranquille. C’était vraiment exceptionnel de voir son nom dans cette belle case, il fallait travailler comme un fou, se plier aux bons caprices de son employeur, il ne fallait surtout pas compter les heures supplémentaires. Celui qui se trouvait dans la case orange, était constamment sous pression pendant ses heures de travail, le soir quand il débauchait, il avait déjà peur du lendemain. Pour le rouge, le salarié le savait bien, cette couleur représentait son licenciement. George Marchand était un homme divorcé, son fils Rudy, âgé de dix-sept ans, collectionnait les bagarres dans les bars, quand il était ivre. Heureusement pour lui, papa était toujours là, avec ses enveloppes et jamais les gens ne portaient plainte. C’était un enfant qui pouvait avoir tout ce qu’il voulait, son père le couvrait de cadeaux. Après le départ de sa mère, il était souvent malade, il avait des crises d’angoisse, il était révolté contre le monde entier. Sa souffrance, il l’a soigné à grand coup de whisky. Il était toujours en compagnie de Jimmy, un copain de bar, un garçon étrange, un peu attardé. Il ramenait souvent Rudy chez lui quand il avait trop abusé de l’alcool. Jimmy était très amoureux de Tara. Un jour, une amie des filles avait organisé une petite fête. Tout le monde pouvait venir, Jimmy se trouvait dans un coin, il buvait une bière, sur une musique douce, il invita Tara à danser, elle ne refusa pas son invitation. L’ambiance était bonne, les copains et copines s’amusaient bien. Jimmy, lui, ne regardait que le visage de sa cavalière, il se rapprocha encore plus près d’elle pour sentir le souffle de sa respiration, l’odeur de sa peau, Tara se recula en fronçant les sourcils, avec force, il essaya d’obtenir un baiser, elle lui donna une énorme gifle. Le garçon rouge de colère et de honte, se dirigea vers la sortie pour ne plus revenir. De nombreuses fois, il avait essayé de sortir avec Tara, mais à chaque fois, elle l’avait repoussé. Les deux petites préféraient changer de trottoir quand elles voyaient arriver Rudy. Il avait un caractère imprévisible.

    — Il faut absolument que l’on puisse se prévenir quand l’une d’entre nous aperçoit Rudy. As-tu une idée Tara ?

    — Laisse-moi réfléchir deux secondes, voilà, j’ai trouvé, nous allons croiser notre majeur sur notre index.

    — Oui ! C’est super comme idée, maintenant, il faut que cela devienne automatique.

    — Il faut que je te dise quelque chose Christel, souvent le soir, quand je ferme mes volets, j’aperçois une ombre, j’ai l’impression qu’elle m’observe quand je me trouve dans ma chambre.

    — Tu n’as pas à avoir peur, je suis là pour te protéger. Bon ! Demain, nous allons à la plage et je vais te montrer qui est la meilleure au frisbee.

    Après avoir passé une bonne nuit, chacune d’elle prépara son sandwich, sa boisson rafraîchissante. À la plage, elles faisaient une magnifique démonstration de lancer de frisbee, mais ce jour-là, Christel n’a pas eu de chance, elle se coupa le dessous du pied avec une coquille d’huître, heureusement la plaie n’était pas profonde. Cette blessure arrêta leur compétition, elles étaient obligées de rentrer chez elles pour nettoyer cette coupure. Henriette regarda le pied de sa petite fille.

    — Bon ! Je vais prendre du fil et une aiguille pour coudre cette belle entaille.

    — Mamie ! Tu me fais peur, c’est si grave ?

    — Ne panique pas Christel, tu sais bien que je plaisante. Il faut aller me chercher l’herbe aux charpentiers. Tara, tu connais cette plante, tu veux bien aller en chercher, s’il te plaît, il va falloir que tu te dépêches, je pense qu’un orage se prépare.

    — Ah ! Enfin, cela me fait plaisir de pouvoir aider Christel. Je vais passer chez moi pour prendre mes bottines, je reviens très vite.

    Tara était très fière d’aller chercher cette plante pour soigner Christel. En marchant sur le chemin qui aboutit à un champ qui se trouve à côté de la forêt, elle fredonnait une chanson. Elle ignorait qu’un individu la suivait depuis qu’elle était partie de chez elle. On ne voyait pas son visage, il était caché par une capuche, dans la main, il avait une bouteille d’alcool. Il se rapprochait de plus en plus de Tara, quand elle voulut courir pour s’enfuir, c’était trop tard, il lui avait déjà attrapé ses longs cheveux.

    — Arrête-toi ! Maintenant, tu prends le sentier pour rejoindre la forêt. Tu pousses un seul cri et tu es morte.

    Elle ne comprenait pas ce que lui voulait son assaillant, elle pleurait, elle tremblait. L’air devenait instable, humide, au milieu des rafales de vent, on entendait le tonnerre, le ciel s’assombrissait.

    — Stop ! Ici, personne ne pourra nous voir, nous sommes trop loin de la route.

    Après avoir fait basculer Tara, pour quelle tombe à terre, son agresseur se jeta sur elle. Elle voulut se dégager, mais, c’était impossible, il avait trop de force. Il mordait le filtre de sa cigarette, la cendre tombait sur le cou de la pauvre petite.

    — Si tu ne fais pas ce que je te demande, avec cette cigarette, je vais te brûler les yeux.

    — Je t’en prie, je t’en supplie, ne me fais pas de mal.

    — Déshabille-toi entièrement, aller ! Enlève-moi tous ses vêtements.

    — Ne me demande pas ça, je ne pourrais jamais me montrer nue devant toi, tu es ivre, laisse-moi partir, je te promets de ne rien dire.

    — Tant pis pour toi, je t’avais prévenu.

    — Attends ! Je le fais, surtout ne me brûle pas, par pitié ne me viole pas.

    — Eh bien voilà, tu es magnifique, tu es très en avance pour ton âge, tu en caches des belles choses. Mais toi à genou, prend ça dans ta main, ouvre la bouche et boit le contenu de la bouteille.

    Tara commença à boire, parfois, elle rejetait ce qu’elle buvait par la bouche, le nez. Sa vue devenait trouble, l’alcool faisait déjà son travail, son agresseur était debout derrière elle. Après avoir vidé la bouteille, Tara s’écroula comme un château de cartes, elle était allongée par terre, ivre et complètement nue. Comme un jeune animal qui apprend à chasser, il avait abandonné sa proie, après avoir suffisamment joué avec elle. Chez Henriette l’inquiétude était palpable.

    — Mamie, je pense que Tara a eu un problème, ce n’est pas normal ce retard. J’espère qu’elle ne sait pas fait mal. En plus, je ne peux pas l’appeler sur son portable, il est resté sur la table de la cuisine.

    — Tu vas rester ici ma chérie et moi, je vais aller à sa rencontre.

    Henriette se dirigea vers la forêt, sur le chemin, elle s’arrêtait de temps en temps pour appeler :« Tara ! Tu m’entends ? Réponds-moi ? » Mais hélas, elle n’avait aucune réponse. Les éclairs illuminaient d’un reflet bleuâtre la nature, le vent soufflait de plus en plus fort, une violente averse de pluie obligea Henriette à faire demi-tour. Une fois revenue dans sa maison, elle regarda sa petite fille en lui disant :

    — J’espère que Tara est rentrée chez elle, appelle sa maman.

    — Bonjour, c’est Christel, je vous appelle pour savoir si Tara est avec vous ?

    — Non ! Elle n’est pas encore là, je pensais qu’elle était avec toi comme tous les jours.

    — Elle était avec moi, mais comme je me suis un peu blessé sous le pied, mamie lui a demandé si elle voulait bien aller chercher une plante, ce qui nous inquiète, c’est que nous ignorons où elle se trouve en ce moment.

    — Peut-être qu’elle a été se mettre à l’abri quand il y a eu l’orage, maintenant qu’il est passé, elle va rentrer.

    Les minutes et les secondes étaient interminables. Au bout d’une demi-heure Tara n’était toujours pas rentré. Madame Louise Bradel arriva chez Christel.

    — Bonsoir Henriette, avez-vous des nouvelles ?

    — Non, mais pourquoi ? Pourquoi ? Je lui ai demandé d’aller me chercher cette plante, si tu savais comme je regrette.

    — Mais ! Mamie, Tara était tellement heureuse de nous rendre ce service.

    Madame Bradel décida de prévenir la gendarmerie. Après avoir pris cette sage décision, le lieutenant de gendarmerie Patrice Morel se présenta chez Henriette Kidal.

    — Bonjour Mesdames, je vais vous demander de bien m’expliquer ce qui se passe exactement.

    Alors Christel commença le récit de sa journée avec Tara. Morel fut surpris que cette petite fille lui donne autant de précision.

    — Je te remercie pour toutes ses informations. Mesdames, nous savons que personne n’a vu Tara depuis son départ, il ne me reste qu’une chose à faire, je rassemble tous mes hommes pour déclencher une battue.

    — Attendez ! Je suis certaine que ma petite fille ne nous a pas dit toute la vérité. Je veux savoir ce que tu caches.

    — Oui ! Tu as raison mamie, j’ai peur du vieux Monsieur.

    — Quel vieux Monsieur ? Enfin, explique-toi ?

    — Un jour, alors que Tara se faisait bronzer à la plage, un vieil homme s’est allongé près d’elle. Il a commencé à la caresser, j’ai réussi à lui faire peur en criant, il est parti très vite. Quand nous sommes revenues à la maison, peut-être qu’il s’est caché, pour nous suivre, c’est pour cela que j’ai peur. J’espère qu’il n’a pas enlevé Tara pour la séquestrer. Il y a aussi Jimmy qui peut faire du mal à Tara, elle l’a repoussé très souvent, même une fois, elle lui a donné une gifle. Il avait eu tellement honte qu’il avait frappé le mur avec sa main.

    Il fallait agir rapidement avant que la nuit ne tombe. La battue fut organisée très vite, la maison d’Henriette était le point de départ. Chaque gendarme était à sa place, ils étaient appuyés par la présence d’un hélicoptère. Tout était inspecté minutieusement, les branches, les broussailles étaient soulevées. Tous les animaux prenaient la fuite. Ce n’est qu’une heure plus tard qu’un gendarme s’écria « J’ai trouvé des vêtements », c’était bien les habits de Tara Après cette découverte, les gendarmes commençaient à ressentir une grande inquiétude, à chaque nouveau pas, elle s’intensifiait. Dix minutes plus tard cette longue chaîne humaine, couleur kaki s’arrêta. Un silence oppressant s’était installé sur toute la forêt, quand tout à coup, on entendit « Venez tous par ici, nous l’avons trouvé. » Chez Madame Kidal, l’angoisse était permanente, insupportable. Le crépuscule du soir commençait à recouvrir la forêt. Christel s’était installée dans sa chambre, elle appuyait son front contre la fenêtre. Elle était très anxieuse ce qui accélérait sa respiration. De temps en temps avec sa main, elle essuyait le petit nuage de buée qui s’était formé sur la vitre. Une heure plus tard, la scène qui se déroulait sous ses yeux était terrifiante. Il y avait des gendarmes qui marchaient sur le côté gauche du chemin, d’autres qui marchaient sur le côté droit, le plus horrible était les quatre gendarmes qui se trouvaient au milieu du chemin. Ils portaient un sac housse de couleur noire. En regardant ces ombres qui semblaient être sorties d’un cauchemar, Christel ressentait une grande souffrance qui lui déchirait le cœur, la douleur était tellement forte qu’elle s’écroula sur le plancher. Très vite sa grand-mère lui porta secours. Pendant ce temps Morel frappait à la porte d’entrée. Henriette et Louise se précipitèrent pour aller ouvrir. Morel entra dans la pièce.

    — Nous avons terminé les recherches. Je suis désolé Madame, nous avons retrouvé le corps de votre fille. Quand nous sommes arrivés, il était déjà trop tard. Le légiste pense qu’elle est morte depuis plus d’une heure. Nous n’avons trouvé aucun indice, l’orage a tout effacé, tout détruit. Maintenant, Madame Bradel, il faut me suivre pour identifier votre fille. Afin d’établir avec certitude la cause de sa mort, le légiste effectuera une autopsie, si vous voulez obtenir une copie du rapport, il vous suffira d’écrire au procureur. Pour l’instant, nous gardons tous ses vêtements pour les besoins de l’enquête.

    Louise était à genoux devant ce sac noir, la fermeture de celui-ci était ouverte jusqu’au niveau des épaules de Tara, elle embrassa sa fille sur les joues en hurlant de douleur, Henriette l’aida à se relever, Louise regarda son enfant en disant à Morel :

    — Elle n’a plus son collier avec son hippocampe, je lui avais offert pour son anniversaire.

    — Je suis désolé, Madame, mais la police scientifique n’a trouvé aucun collier, je vais demander que l’on élargisse la zone de recherche.

    Christel s’était réfugiée sous ses couvertures, elle ne voulait plus voir, plus entendre, s’isoler de ce monde impitoyable où il existe encore des êtres humains qui vivent comme des bêtes, assoiffées de chair et de sang. Le lendemain, alors que la nuit commençait à tomber, elle voulut aller dans la chambre de Tara, pour revivre pendant quelques instants les bons moments qu’elles avaient passés ensemble. Quand elle arriva, l’intérieur de la maison de Bradel était éclairé avec des bougies, un court-circuit était à l’origine de cette panne de lumière. La porte vitrée du séjour était restée entrebâillée. Quand Christel voulut frapper contre la vitre, elle fut surprise de voir le papa de Tara attablé en compagnie de Monsieur George Marchand. Elle recula pour ne pas être vue, les deux hommes étaient face à face, un petit courant d’air faisait dandiner les flammes des bougies. Les deux ombres qui apparaissaient sur les murs, suivaient le rythme des flammes. Christel pouvait entendre toute la conversation, Marchand disait à Bradel : « Je suis venu le cœur serré, rempli de tristesse, je veux aussi vous apporter une aide financière en réglant la note des funérailles. » Louise commença à faire une génuflexion pour lui embrasser les mains en signe de remerciement. L’homme était venu pour tout autre chose.

    — Mon cher Bradel, pouvez-vous me rendre un petit service ? Nous pouvons rester seuls ?

    — Oui ! Louise, tu devrais aller ranger les assiettes dans la cuisine. Je vous écoute Monsieur Marchand, mais d’abord, il faut que je ferme cette porte vitrée.

    Christel eut juste le temps de se mettre sur le côté de la maison, elle ne pouvait plus entendre la conversation des deux hommes. Quand elle regarda quelques minutes plus tard, Bradel et Marchand étaient debout, ils se serraient la main. Ne pouvant pas aller dans la chambre de Tara, elle rentra chez elle. De son côté Morel continuait son enquête, il voulait aussi connaître les résultats de l’autopsie. Il téléphona au légiste.

    — Salut ! C’est Morel, je t’appelle pour avoir des informations sur la mort de Tara Bradel.

    — Oui ! J’ai des résultats, elle avait plus de 2 grammes d’alcool dans le sang, elle était dans un coma éthylique, avec ses vomissements, elle s’est étouffée. À part ses poignets, elle n’avait aucun sévice corporel, elle n’a pas était violée, elle était vierge.

    — Je te remercie, passe une bonne soirée, mon cher légiste.

    Morel soupçonnait Rudy, il avait été arrêté plusieurs fois pour violence. Certaines filles avaient peur de lui. Rudy fut convoqué à la gendarmerie. Le jeune garçon se présenta, en mâchant un chewing-gum avec lequel il faisait de grosses bulles, il souriait d’une joue en regardant le lieutenant.

    — Vous m’avez demandé de venir, Monsieur Morel, me voilà, pourquoi cette convocation ?

    — Mon petit Marchand, tu vas arrêter de jouer les gros bras avec moi. Maintenant, tu prends place sur cette chaise et tu réponds à mes questions. Je veux que tu me dises ce que tu faisais le 21 août ? As-tu rencontré la petite Bradel ce jour-là ?

    — Comment voulez-vous que je me souvienne du 21, c’était un jour de la semaine ? Un week-end ?

    — C’était mercredi dernier, tu vois ce n’est pas si loin que cela. Tu as déjà eu des problèmes avec cette fille ? Surtout, tu prends ton temps pour répondre, réfléchis, si jamais tu as eu un coup de folie, une pulsion, ce jour-là, tu peux me le dire, tu n’as pas à t’inquiéter, si cela te dérange d’en parler, je te donne un stylo et une feuille de papier pour que tu puisses tout écrire.

    — Oh ! Doucement, pourquoi toutes ces questions ? Ce n’est pas de ma faute ce qui s’est passé. Voilà, je me souviens, l’après-midi du 21 août, j’étais chez Tara, je donnais un coup de main à son père, il fallait remuer des meubles. Vous pouvez lui téléphoner, il vous le confirmera.

    — Je vais le faire, regarde, je prends mon téléphone, je compose son numéro et voilà. « Bonjour, c’est le lieutenant Morel, le fils de Monsieur Marchand me dit que mercredi dernier, il était chez vous pour vous aider ? »

    — Oui ! C’est exact, nous avons déplacé des armoires.

    — Bon, je vous remercie, c’est tout ce que je voulais savoir.

    Rudy regardait le plafond de la pièce, le sol, puis tout en soupirant, il s’adressa à Morel en lui disant :

    — Alors ! Vous êtes satisfait ?, j’espère que vous avez compris, que pour moi, il m’était impossible d’agresser Tara, puisque je me trouvais chez elle. Vous m’avez soupçonné un peu trop vite, je vais en parler à mon père.

    — Tu fais le fier, parce que tu as un bon alibi, fais bien attention à toi, Marchand, je vais te surveiller et à la prochaine bagarre, tu peux en être certain, je te coffre. Tu peux partir, je ne te retiens pas.

    Pour Morel, l’enquête s’annonçait difficile, aucun indice, aucun témoin. Après de nombreuses recherches, de surveillances, sa patience fut récompensée. Il avait réussi à appréhender un individu qui correspondait au vieux Monsieur de la plage. Il avait dans les soixante-dix ans, il était de taille moyenne, son visage ressemblait à une pomme bien ronde, malgré son âge, ses cheveux étaient encore plus ou moins bruns, ils étaient, huileux, graisseux et coiffaient en arrière. Il avait de tout petit yeux, son nez était écrasé, il avait des lèvres très fines que sa langue blanchâtre, chargeait de bactéries venait lécher à chaque fin de phrase, pour finir, il avait sur lui, une forte odeur de transpiration. Fréquemment avec son mouchoir plus ou moins propre, il épongeait les gouttes de sueur qui dégoulinaient sur son front. Morel commença à interroger son suspect.

    — Votre nom de famille est bien Ribote, votre prénom est Lucas, vous habitez, trente-six rues des fauvettes, à Arcachon.

    — Oui, tout à fait Monsieur, c’est bien mon adresse.

    — Je viens de regarder votre casier judiciaire, Ribote, il est très intéressant, à Bordeaux en 1982, vous avez écopé d’un an de prison avec sursis pour voyeurisme, à Montauban, en 1986, vous avez été condamné à cinq ans de prison pour attentat à la pudeur.

    — Oui, j’ai honte de ce que j’ai fait, mais, ses cinq années de prison m’ont fait beaucoup de bien. Pendant tout ce temps, un psychologue s’est occupé de moi, maintenant, je suis devenu un autre homme.

    — Je suis très heureux pour vous Ribote, puisque vous n’avez plus rien à cacher, on vous emmène chez vous, pour effectuer une perquisition.

    Dans la maison de Ribote, une grande fouille commença. Le suspect était resté debout devant un grand miroir qui était fixé au mur. Morel était très énervé, il ne trouvait rien d’intéressant, pas le moindre indice qui pourrait faire avancer son enquête. Ribote tenait dans sa main un verre d’eau qui était à moitié rempli. Morel le regardait droit dans les yeux, c’est à ce moment-là qu’un gendarme, avec une voix de baryton, s’écria : « R.A.S. »Ribote, surpris par cette voix qui venait de mettre fin au silence qui s’était installé dans la pièce, lâcha son verre, qui tomba, sans se briser, sur le plancher, près de la plinthe. Morel fut surpris de voir l’eau du verre s’écouler aussi vite, Ribote transpirait de plus en plus, il s’essuyait, le front, la nuque, dans sa main tremblante, il tenait son mouchoir qui était à tordre comme une serpillière. Morel demanda à Ribote de se déplacer, puis il s’adressa à ses hommes.

    — je suis certain qu’il y a un passage, aidez-moi à le trouver.

    Ribote pris la parole :

    — Ne vous fatiguez pas, derrière ce miroir, il y a une porte secrète, elle conduit à une ancienne cave qui est fermé depuis plusieurs années. Il faut que je vous prévienne, c’est peut-être dangereux de descendre les escaliers.

    Morel lui répondit :

    — Je vous remercie, Ribote, de vous inquiéter de notre santé, je demanderais au juge qu’il ne soit pas trop sévère avec vous.

    Après avoir ouvert la porte qui était dissimulée derrière le miroir, Morel était prêt à descendre vers l’inconnu. Dans sa main gauche, il tenait une lampe torche, dans sa main droite, il avait son arme de service. Il posa un pied sur la première marche, puis il commença à descendre en appuyant son dos contre le mur, à la huitième marche, l’escalier se dirigeait vers la droite, une odeur d’encens s’était incrustée dans les murs et le plafond, Morel dirigea le rayon de lumière de sa lampe torche en direction de la dernière marche, qui se terminait sur une petite porte de couleur mauve, en ouvrant la porte, Morel marmonna : « Merde de merde », Ribote avait transformé sa cave, en une classe d’école. Il y avait deux bureaux d’élèves, dans les coins de la pièce, il y avait des lampes de chevet et un petit lit, au plafond, une boule lumineuse tournante. Trois petits mannequins de vitrine représentaient des élèves de sexe féminin. Ils avaient une perruque de couleurs différentes, leur visage était maquillé à outrance, ils étaient assis, les vêtements qu’ils portaient auraient pu servir aux femmes qui se promènent le soir sur les trottoirs près d’un hôtel de passe. « Venez me rejoindre avec Ribote » s’écria Morel. En descendant à la cave, les gendarmes, avaient l’impression d’entrer sur une scène de théâtre. Morel demanda à Ribote :

    — Alors ! Lucas, pourquoi avoir monté ce décor ?

    — Attendez ! Ce n’est pas ce que vous pouvez imaginer, depuis tout petit, j’ai toujours rêvé de devenir professeur, alors de temps en temps, je fais semblant de m’occuper de cette classe.

    — Je veux bien te croire Lucas, mais, ce qui m’étonne, c’est de trouver dans les bureaux, des livres pornographiques et dans les trousses des élèves des objets, achetés, dans un sex-shop. À partir de maintenant vous êtes en garde à vue, Monsieur Ribote

    De retour à la gendarmerie, Morel demanda à Madame Kidal de venir avec sa petite fille, pour identifier l’homme. Morel installa Christel derrière une glace sans tain.

    — Est-ce que tu connais cet homme ? Surtout ne t’inquiète pas, il ne peut pas te voir.

    — Mais ! C’est Lucas, pourquoi est-il là ?

    — Tu connais ce Monsieur ?

    — Oui, il est très gentil, on passait souvent devant chez lui avec Tara, il nous faisait rire, il nous racontait des histoires, il nous donnait des cerises et des pommes, à chaque fois, il nous invitait à boire une menthe à l’eau bien fraîche, alors, je lui répondais : « Non merci, pas aujourd’hui, peut-être une prochaine fois. »

    — Vous avez bien fait de refuser ses invitations. J’étais pourtant certain que cet homme était le vieux Monsieur qui avait agressé Tara sur la plage. Bon, je vous remercie Madame Kidal d’être venue aussi vite avec Christel.

    Morel retourna interroger Ribote :

    — Lucas ! Il faut que tu me dises ce que tu faisais l’après-midi du 21 août, si tu ne veux pas répondre, il y a de fortes chances que tu sois mis en examen pour meurtre.

    — Eh ! Doucement, je ne suis pas un assassin. Bon, d’accord, je vais vous dire où je me trouvais le 21 août. J’étais à la piscine municipale d’Arcachon, j’avais réussi à me cacher dans les douches des femmes. Comme les cloisons de séparations ne montent pas jusqu’au plafond, c’est très facile de voir ce qui se passe dans l’autre douche.

    — Comme alibi, tu aurais pu trouver mieux, est-ce que quelqu’un t’a vu ?, une personne pourrait me confirmer ta présence à cette piscine ?

    — Je vais vous dire quelque chose qui va prouver que j’étais bien présent dans les douches. Toutes les femmes ont hurlé, quand l’eau chaude a été coupée.

    — Eh bien voilà, j’appelle la secrétaire de la piscine et je vais savoir si tu m’as dit la vérité. « Bonjour Madame, je suis le lieutenant de gendarmerie Morel. Une personne me dit que le 21 août, il y a eu un problème d’eau chaude dans les douches des femmes, vous pouvez vérifier s’il vous plaît. »

    — Je vais pouvoir vous renseigner dans une minute, car le plus petit incident est enregistré sur un fichier, effectivement à seize heures quinze, le 21, l’eau chaude des douches a été coupée. Pourquoi ? Une personne est venue vous voir pour déposer une plainte ?

    — Non, pas du tout, c’est pour le besoin d’une enquête, je vous remercie, les informations que vous m’avez données me sont suffisantes. Au revoir Madame.

    Ce fut une grande déception pour Morel, maintenant, il savait que Ribote ne lui avait pas menti et que son alibi tenait la route. Morel était déterminé à arrêter le responsable de ce terrible drame. Il décida de lancer un appel à témoins. Trois jours plus tard, Madame Juliette Lambert, âgée de quatre-vingt-cinq ans, se présenta à la gendarmerie. Morel lui proposa de s’asseoir.

    — Je vous écoute, Madame.

    — Eh bien voilà, Monsieur, l’après-midi du 21 août, j’allais chez Henriette Kidal me chercher une tisane qu’elle m’avait préparée, elle est formidable cette femme, elle a un savoir-faire incroyable pour mélanger les plantes.

    — Vous avez sûrement raison Madame, mais, le plus important pour moi est de savoir ce que vous avez vu.

    — Oui, pardon, je continue, en arrivant près de la maison de Bradel, il y avait un garçon qui était derrière un arbre, peut-être qu’il se cachait, ou alors il urinait. Il avait une veste grise, une capuche lui recouvrait le visage, je ne suis pas certaine, mais, je pense que c’était le petit Jimmy Dorian.

    — Je vous remercie, Madame, nous allons vérifier tout ceci.

    Après ce témoignage, il demanda une commission rogatoire pour effectuer une perquisition chez Dorian. C’est la maman de Jimmy qui ouvrit la porte à Morel.

    — Bonjour, Madame, ou se trouve votre fils en ce moment ?

    — Il est dans sa chambre, je vais aller le chercher.

    — Non ! Je préfère que vous restiez là, montrez-moi la porte de sa chambre s’il vous plaît.

    — C’est la bleue, au fond du couloir, faites doucement, surtout, ne lui faites pas de mal.

    Morel entra sans frapper pour surprendre Jimmy. Le garçon eut la plus grande peur de sa vie, d’un bon, il sauta de son lit en jetant son casque audio sur le sol.

    — Nous sommes là pour effectuer une perquisition, tu n’as pas à avoir peur. Je voudrais savoir ce que tu faisais le 21 août.

    — Euh, je crois que j’étais ici, je regardais des clips sur mon ordinateur, ensuite, je me suis amusé sur ma console.

    Pendant ce temps, les gendarmes vidaient les meubles de tout leur contenu. Ils ne trouvaient rien de suspect. Jimmy avait un petit bureau sur lequel il y avait son ordinateur, mais aussi, beaucoup de désordre, des crayons cassés, des DVD, des feuilles de papier, déchirées, froissées, la poussière faisait partie du meuble, pour finir un doudou d’enfant se trouvait là. Morel pris place sur la chaise et alluma l’ordinateur. Il n’y avait rien de particulier sur le disque dur. Morel se leva en prenant le doudou, il sentit quelque chose de dur à l’intérieur, il n’hésita pas une seconde, il ouvrit le ventre du doudou. « En voilà une surprise, une clé USB, un collier avec un magnifique hippocampe, très intéressant », s’exclama Morel. Le contenu de la clé USB était surprenant, il y avait des photos, sur lesquelles Jimmy avait fait des montages. Tara était photographiée les seins nues, Morel regarda Jimmy.

    — Eh bien ! Bravo mon garçon, je commence à comprendre ce qui s’est passé. Tu as vu Tara qui était seule sur le chemin, tu as voulu profiter de cette occasion pour l’embrasser, elle t’a repoussé, comme tu avais bu, tu n’as pas pu te maîtriser, alors tu as voulu la violer, mais juste à ce moment-là, tu as entendu quelqu’un qui appelait Tara, ce qui a interrompu ton agression. Certaines personnes m’ont dit, que le soir, tu te promenais souvent autour de la maison de Bradel.

    — Non ! C’est complètement faux, je l’aimais trop pour lui faire du mal, quand j’allais devant chez elle, je ne me cachais pas, je n’avais aucune raison de le faire. Elle le savait parce que de temps en temps, quand elle m’apercevait, elle me souriait, même si parfois, elle m’a repoussé, je savais que dans son cœur, j’avais une place importante. Je pense qu’elle avait peur de cet amour et je suis certain qu’elle s’est interdit de m’aimer. Pour le collier, j’ignorais complètement qu’il était dans le doudou, depuis la mort de Tara, je n’ai plus touché à la clé USB.

    Il essuya ses larmes avec le revers de sa main, son visage devenait de plus en plus blanc, il commença à comprendre que Morel allait l’accuser de meurtre, il courut vers la chambre de son père, il eut juste le temps de fermer la porte à double tour, de prendre deux cartouches et de les introduire dans le fusil de son père. Morel arriva très vite avec ses hommes, il enfonça la porte d’un grand coup de pied, Jimmy perdu son sang-froid et tira un coup de feu en direction de Morel qui tomba à terre, blessé à l’épaule. Le gendarme Clément tira sur Jimmy, le garçon reçut la balle en plein cœur. Tous les habitants avaient été choqués d’apprendre la mort des deux enfants. Pour Tara, une marche blanche avait été organisée. Pour l’enterrement de Jimmy, il n’y avait que trois personnes, la mère, le père, Rudy. Les jours suivants, Christel tomba malade, son chagrin était trop fort, la nuit, en regardant les étoiles, elle appelait ses parents. « Aidez-moi, je vous en supplie, j’aurais tellement aimé vous avoir près de moi. » Elle ne leur lançait plus des bisous par la fenêtre, mais des larmes, qui inondaient le creux de ses mains. Les cauchemars étaient de plus en plus nombreux. Henriette ne supportait plus de voir sa petite fille malheureuse, elle décida de tout vendre pour l’emmener vivre au Canada, c’était le rêve des deux enfants, partir à l’étranger. Après avoir obtenu tous les papiers pour vivre au Québec, le moment des adieux était venu. Henriette et sa petite fille étaient chez la maman de Tara Pour une dernière fois, Christel regarda la chambre de sa meilleure amie. Pendant ce temps, les deux femmes discutaient, les yeux remplis de larmes. Christel attendait sa grand-mère, c’est à ce moment-là qu’elle aperçut sur le buffet de la salle de séjour, la copie du rapport d’autopsie.

    — Madame Louise, je peux regarder le contenu du document, s’il vous plaît ?

    — Je veux bien, mais j’ai peur que cela te fasse du mal ma chérie.

    — Ne vous inquiétez pas, je sais de quelle façon Tara est morte, j’ai regardé le journal télévisé, j’ai pu suivre toute l’enquête.

    Elle commença à lire, puis au bout d’un petit moment, elle leva la tête, elle se mit à trembler, elle était frappée de stupeur, une grande colère envahissait son corps, la haine qu’elle ressentait lui apportait un immense besoin de vengeance. Elle venait de découvrir l’identité de la personne qui avait provoqué la mort de Tara. Elle garda pour elle cette découverte, Henriette et Louise ne c’étaient aperçues de rien. Le lendemain Christel et sa grand-mère prenaient l’avion à destination du Canada. Plus de vingt-ans après ces faits divers, les gens qui avaient participé à la marche blanche, sont restés muets sur ce drame, ils ne voulaient surtout pas remuer la saleté. Un an après la mort de leur fille Monsieur et Madame Bradel ont fait construire un magnifique chalet. Certaines personnes racontent que Bradel aurait hérité d’une belle somme d’argent. Malheureusement, Louise décéda quatre ans plus tard d’un cancer. Son mari est resté seul, il n’a jamais voulu refaire sa vie avec une autre femme. Il lui arrivait parfois de louer une chambre de son chalet. C’était au début du printemps, une jeune femme se présenta chez Bradel. Elle était rousse, ses yeux noisette, sur son visage, elle avait des petites taches de rousseur, ses cheveux étaient frisés, elle était habillée comme une vieille fille. Elle appuya avec son index sur le bouton de la sonnette, en ouvrant la porte Bradel regarda par deux fois le visage, de cette femme.

    — Bonjour, Madame, puis-je vous aider ?

    — Bonjour, Monsieur, je suis Mademoiselle Juliette Trocart, j’ai appris qu’il était possible de louer une chambre dans votre magnifique chalet, je voudrais savoir si elle est libre en ce moment ?

    — Vous avez de la chance, elle n’est pas occupée, puis-je savoir pour combien de temps ?

    — C’est très difficile de vous répondre, j’arrive de Bretagne pour régler certaines affaires et je ne sais pas combien de temps cela va me prendre. Pour vous rassurer, je peux vous donner un mois de loyer d’avance.

    — D’accord, j’accepte, si cela ne vous dérange pas, je ne veux pas de chèque, je préfère avoir de l’argent liquide. Je vais m’assurer que tout est bien en ordre et dans le courant de l’après-midi, la chambre sera à votre disposition. Ah ! Je voulais vous prévenir, le soir, il m’arrive de sortir et de revenir très tard dans la nuit, alors ne vous inquiétez pas, je me ferais discret.

    Vers quinze heures quarante, Juliette entra dans la chambre, elle posa sa valise sur le lit. Les premiers jours, elle observait, elle notait, l’heure du départ et l’heure du retour de Bradel. L’homme était régulier dans ses allées et venues. Un jour, sachant qu’elle était seule, elle entra dans la chambre de son propriétaire. Elle commença à regarder dans la table de nuit, l’armoire, la commode. Dans le tiroir du bureau, il y avait, une interdiction bancaire, une lettre de mise en demeure. La jeune femme commençait à comprendre que Bradel se trouvait dans une situation plutôt inquiétante. Un soir, elle décida de le suivre. L’homme entra dans une maison, Juliette parvint à observer l’intérieur d’une pièce, ils étaient plusieurs assis autour d’une table ronde, ils s’apprêtaient à disputer une partie de poker. Cette nuit-là, personne n’a pu savoir ce qui s’était vraiment passé. Il était quatre heures du matin, quand le chalet de Bradel fut entièrement détruit par un incendie. La douleur de cet homme avait été tellement forte, qu’on le retrouva pendu, il s’était donné la mort avec la corde d’une balançoire qui se trouvait dans un jardin d’enfants. Quant à Juliette Trocart, elle avait disparu sans laisser aucune trace. Pour George Marchand, sa retraite se passait plutôt bien, il faisait des voyages, il allait souvent jouer des petites sommes d’argent dans les casinos, il rencontrait aussi des jeunes femmes qui étaient à la recherche d’un homme au grand cœur, avec surtout un gros portefeuille. Il aimait s’afficher avec ce genre de femmes. Souvent vers le milieu de la nuit, il disparaissait avec une d’entre elles. Un matin, alors qu’il était seul à prendre son petit-déjeuner sur la terrasse, une femme complètement effrayée arriva. C’était une brune aux cheveux longs, son chemisier était très ouvert, sa jupe était vraiment courte. Elle se jeta sur Marchand en criant :

    — Aidez-moi ! Je vous en prie, un homme me suit, j’ai très peur, vous pouvez regarder s’il est toujours là.

    Marchand posa son bol de café au lait sur la table, se leva pour aller voir. Après cinq minutes d’observation, il revint vers la belle inconnue en lui disant :

    — Madame, j’espère vous tranquilliser, la rue est entièrement déserte, puis-je vous servir un verre d’eau ? Prenez donc cette chaise et asseyez-vous, le temps de vous calmer un peu.

    — Je vous remercie, je vais m’asseoir, cela va me faire du bien, peut-être que je me suis affolée un peu trop vite. Mon pauvre Monsieur, par ma faute, votre café au lait va être froid, il faudrait vous dépêcher à le boire.

    — Ah ! Il est juste comme je l’aime, heureusement pour moi, il était très chaud.

    — Je vais vous laisser Monsieur, mille fois merci pour votre gentillesse.

    — Voulez-vous que je vous ramène chez vous ? Vous préférez que j’appelle un taxi ?

    — Non merci, ce n’est pas nécessaire, j’ai garé ma voiture dans la rue qui se trouve tout près de chez vous. J’ai trouvé le quartier tellement joli que je me suis arrêtée pour me promener, je pense que l’homme m’a aperçu, puis il m’a suivi, pour quelle raison je l’ignore complètement.

    Marchand ne regardait pas le visage de cette femme qui était pourtant magnifique, il préférait lui regarder les jambes, qu’elle croisait et décroisait lentement. Soudain, elle se leva :

    — Je suis désolé, j’ai oublié que j’avais un rendez-vous très important. Adieu ! Monsieur.

    Elle s’éclipsa comme elle était apparue. Deux heures plus tard le téléphone de Rudy Marchant sonna. Rudy était devenu l’homme d’affaires que son père avait souhaité, il avait modernisé tous ses hôtels, sa clientèle était très importante. Il était célibataire, il préférait avoir des aventures sans lendemain. Il décrocha son téléphone.

    — Allô ! Monsieur Rudy Marchand ?

    — Oui, je vous écoute.

    — Je suis le Docteur Glaireux, votre père m’a appelé, il ne se sentait pas bien, quand je suis arrivé, il était allongé sur le sol, j’ai fait tout mon possible pour le ranimer. Je suis désolé, votre père a fait un infarctus.

    Rudy ne comprenait pas pourquoi son père avait eu cette crise cardiaque, il y a peu de temps, il avait passé un bilan de santé, les résultats des examens étaient plutôt satisfaisants, pour un homme de cet âge. Les funérailles avaient eu lieu trois jours plus tard, c’était un matin, il y avait un soleil magnifique. Pour certaines personnes, la mort de Marchand, les soulageaient, elles ne ressentaient plus cette peur que l’homme avait installé dans leur esprit. À la fin des funérailles, Rudy était resté seul devant le caveau, il avait envie de murmurer quelques mots d’adieu à son papa. Un mois plus tard Rudy se préparait pour aller inspecter ses hôtels, il le faisait tous les vendredis, il voulait que tout soit parfait pour le week-end. Ce jour-là, après avoir roulé pendant dix minutes, il aperçut une très jolie femme qui lui faisait des signes, elle avait garé son véhicule sur le côté de la route. Marchand s’arrêta.

    — Bonjour Madame, puis-je vous aider ?

    — Je suis en panne, pouvez-vous regarder ce qui se passe ?

    — Je suis désolé, Madame, les moteurs ce n’est vraiment pas une grande passion, pour moi, ce que je peux vous proposer, c’est de vous ramener chez vous.

    — Eh bien, j’accepte, mais je n’habite pas dans cette ville, je suis de passage à Arcachon, j’ai pris une chambre à l’hôtel « Beau Rivage » vous connaissez ?

    — Oui ! Je suis le propriétaire de cet hôtel, je me présente, Monsieur Rudy Marchand. Je préviens mon garagiste pour qu’il vienne chercher votre voiture. Attendez ! Permettez-moi de vous ouvrir la portière, si le siège est trop prés, je peux vous le reculez.

    — Non, c’est parfait, je m’appelle Alice Castel, je suis dans la chambre 21 qui se trouve du côté de la rue.

    — Bon ! Je vais demander que l’on vous installe dans la chambre 12, vous aurez une magnifique vue sur le Bassin d’Arcachon, son prix sera exactement le même que la 21.

    — Vous êtes très aimable et je vous en remercie, je suis heureuse que des hommes comme vous existent encore.

    C’était une femme qui avait beaucoup de charme, elle était irrésistible, mais autour de cette beauté, il y avait du mystère. Quelques jours plus tard, après avoir profité de sa belle chambre, elle décida d’appeler la réception.

    — Bonjour, je suis Madame Castel, puis-je parler à Monsieur Marchand s’il vous plaît ?

    — Désolé ! Mais Monsieur ne se trouve pas à l’hôtel, il vient que le vendredi.

    — J’ai besoin de lui parler, il faudrait qu’il passe me voir vendredi matin. Surtout que cela ne le dérange pas.

    — Très bien, Madame, je l’informerais dès son arrivée.

    Le vendredi matin, Rudy était devant la porte 12, il frappa trois petits coups.

    — Entrez, la porte est ouverte.

    Quand il entra dans la chambre, il fut émerveillé et surpris, les rayons du soleil passaient au travers de la chemise de nuit de Madame Castel laissant apparaître les magnifiques formes de son corps. Très vite, elle se dirigea vers la salle de bains pour mettre un peignoir.

    — Bonjour, Madame, ma secrétaire m’a dit que vous vouliez me parler.

    — Oui, il faut que je vous explique, j’ai un diplôme d’herboriste et je cherche un local pour m’installer, votre aide me serait très utile.

    — Avec plaisir, j’ai beaucoup de relations, je peux aussi vous faire de la publicité dans mes hôtels, si cela peut vous rendre service.

    — Ah ! En voilà, une bonne idée Monsieur Marchand, avec vous à mes côtés, je suis certaine de réussir. Je suis tellement heureuse que je voudrais vous remercier, j’ai très envie de vous préparer mon infusion magique. Alors, si vous êtes libre, je vous invite à venir ici vers seize heures. Je suis certaine de vous surprendre.

    — J’accepte votre invitation, avec plaisir, c’est moi qui offre les gâteaux, d’accord ?

    — Non, ce n’est pas nécessaire, je pense que mon infusion sera largement suffisante.

    Rudy était tout excité, c’était pour lui une chance merveilleuse qui se présentait à lui, il voulait tellement séduire cette femme. Il se présenta à seize heures, avec une rose à la main.

    — Félicitations, Monsieur Marchand, vous êtes réglé comme une horloge, en plus, vous arrivez avec une fleur dans la main, elle est magnifique, je vous en pris, installez-vous dans le fauteuil. Je vous présente la mallette qui contient toutes les tisanes que j’ai réalisées, elles peuvent vous soulager en quelques minutes. Voici celle que je vais vous préparer, c’est mon petit bijou.

    — Madame Castel, vos sachets sont magnifiques, leurs couleurs de photos anciennes sont agréables à regarder, quand vous avez ouvert votre mallette, un délicieux parfum s’est répandu dans toute la chambre, j’avais l’impression de me promener dans un champ de fleurs.

    — Merci, c’est gentil, j’ai toujours avec moi ma petite machine à infusion. C’est parfait ! Elle est prête, je vous laisse déguster ce breuvage, pendant ce temps, je range toutes mes affaires.

    — Mon Dieu ! Quelle saveur exquise, c’est vraiment un régal.

    — Surtout, Monsieur Marchand restez assis pendant un petit moment, car l’effet de l’infusion est instantané et il peut provoquer un léger vertige.

    — Madame ! Je crois que j’ai une mauvaise réaction, je ressens dans les bras et les jambes une douleur, j’ai beaucoup de mal à bouger. Que se passe-t-il, ? C’est normal, ? La douleur est de plus en plus forte.

    — Tu vas tout comprendre, Rudy, regarde-moi bien ! J’enlève ma perruque, je retire mes verres de contact de couleur bleue, tu me reconnais maintenant ?

    — Oui ! Je me souviens de toi, Christel Kidal, mais pourquoi ce déguisement ? J’ai très mal, je ne peux plus bouger, il me faut une ambulance.

    — Je vais t’expliquer ce qui va se passer, mon infusion est redoutable, elle s’appelle, « Une tisane pour l’enfer » Jusqu’à la fin, tu vas pouvoir parler, mais ton corps sera paralysé, pour finir, tu vas avoir une foudroyante crise cardiaque. Heureusement, pour toi, dans cette fiole se trouve l’antidote. Si jamais tu as envie de crier pour que quelqu’un vienne te porter secours, sous tes yeux, je vide la fiole. Je suis revenue pour que tu me racontes ce qui s’est vraiment passé avec Tara.

    — Comment veux-tu que je te raconte, je n’étais pas avec Jimmy, c’est lui qui a tout fait, ce jour-là, il a complètement perdu la tête.

    — Rudy, tu devrais faire attention, les minutes passent, je suis certaine que Jimmy n’a fait aucun mal à Tara, puisque c’est toi qui étais avec elle ce jour-là.

    — Ma pauvre Christel, tu délires complètement, tu es folle. Ce jour-là, j’étais chez elle, son père l’a confirmé aux gendarmes.

    — Écoute ce que je vais te dire, espèce de dégénéré. Quand la maman de Tara m’a permis de regarder le rapport d’autopsie, j’ai très vite compris que Tara t’accusait. Le légiste avait noté qu’elle avait les doigts croisés. C’était notre signe, à chaque fois que tu étais présent, on le faisait. Tu comprends sale ordure ? Maintenant, je prends la fiole, regarde bien ce que je fais, je retire le bouchon et je commence à faire tomber quelques gouttes.

    — Arrête ! Tu as gagné, ce n’était pas ce pauvre Jimmy. Je voulais juste effrayer Tara et puis tout a basculé dans la tragédie.

    — Mais, pourquoi ? Tu avais bien une raison ? Je veux que tu me dises toute la vérité.

    — Ce jour-là, je m’étais installé derrière un arbre, dans la main, je tenais une seringue, il fallait que je fasse vite, j’étais vraiment en manque. Quand je me suis piqué le bras, j’ai aperçu Tara, j’ai compris qu’elle m’avait vu me droguer, j’ai voulu lui faire peur, je ne voulais pas que tout le monde soit au courant, si tu savais comme je regrette. Quand je suis parti, elle était vivante, l’orage a éclaté, je suis revenu vers elle, quand je me suis aperçu qu’elle ne respirait plus, j’ai ramassé la bouteille, le bout filtre de ma cigarette. Je ne voulais pas laisser de trace, j’ai caché ses vêtements sous un tas de feuilles, après j’ai paniqué, j’ai perdu mon sang-froid, je ne sais pour quelle raison j’ai pris son collier et je me suis enfui. Ensuite, j’ai tout raconté à mon père, il m’a demandé d’aller dans la chambre de Jimmy pour y déposer le collier, ce que j’ai fait, je connaissais la cachette dans son doudou.

    — Te fatigue pas, Rudy, la suite, je la connais très bien, ton père a demandé au papa de Tara qu’il te fournisse un alibi, j’étais là quand il lui a donné son argent sale. À propos ! Ton père, lui non plus n’a pas bien supporté les gouttes de tisane que je lui ai versées dans son café. Pour celui de Tara, cette espèce d’ordure, j’ai préféré lui brûler son rêve. Quand il a accepté l’argent de ton père, j’ai pensé que cet homme vendait l’âme de sa fille.

    — Christel ! Donne-moi la fiole, j’ai beaucoup de mal à respirer, j’ai très mal à la poitrine.

    — Eh bien ! Prends-la Rudy, oh ! Pardon, j’oubliais que tu ne peux plus bouger, ce n’est pas grave, je vais boire son contenu à ta place, je suis certaine que l’eau qui se trouve à l’intérieur est excellente. À ta santé ! Rudy.

    Quelques secondes plus tard, Rudy mourrait d’une crise cardiaque. Madame Castel aurait dit aux pompiers, qu’elle avait essayé de le ranimer avant de les appeler. Le lendemain Christel Kidal s’envola pour le Canada pour ne jamais plus revenir en France.

     

     

    François Maillet.

     

     

     

     

     

     

     

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