• LIVRES DE JEUNESSE

     

     

    ♥ Neige de Feu (Cécile Ramaekers)

    ♥ Une raison d'être! (Véronique Legendre)

     

     

     

     

     

     

     

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    Pensées entre animaux de compagnie

     


    Ce matin, Jean-Pierre et Béatrice sont partis se ravitailler après une nuit pleine de câlins.
    Leurs animaux de compagnie sont restés à la maison. Ceux-ci s’entendent généralement bien, mais parfois ils ressentent un besoin irrémédiable de communiquer entre eux et de faire le point sur leur existence. Sur leur raison de vivre. Tel est le cas aujourd’hui.
    — Eh bien, voilà encore un peu de solitude qui nous fait du bien, remarque Félix, le joli chat noir aux yeux verts. N’es-tu pas d’accord Jasper ?
    — Non Félix ! Moi, ils me manquent déjà. Lorsqu’ils vont rentrer à la maison, je vais leur faire la fête et ils vont s’attendrir. Je vais même rapporter les chaussons à Jean-Pierre.
    — Eh bien moi, dit Félix, je me lèche déjà les babines en pensant au foie que Béatrice va m’acheter. Ah, quel plaisir, manger et faire sa petite toilette !
    — Oh toi, avec ta toilette ! se moque le chien de chasse.
    — Et alors ? On ne peut pas en dire autant de toi ! Même pour faire tes besoins, tu ne prends pas de précautions ; moi, je creuse un trou discrètement et je le rebouche après avoir fait mes besoins naturels. Toi, tu donnes un coup de patte vite fait bien fait, pardon, vite fait mal fait, si bien que la pauvre Béatrice marche dans tes crottes tous les jours. C’est plutôt la honte, non ?
    — Toujours le mot gentil pour tes semblables, n’est-ce-pas ? réplique Jasper un peu vexé. Je suis fier d’être un gentil chien, et de surcroît, un chien de chasse pour rapporter les proies à mes maîtres. T’en fais pas autant que je sache, Félix ?
    — Tu rigoles ou quoi ? Tu oublies donc les souris que je rapporte toutes les semaines à la maison ? Je les rapporte à Béatrice en croyant lui faire plaisir, car elle mange peu. Je pensais lui procurer une grande joie, mais à chaque fois, j’entends des cris de terreur ! C’est dingue, on dirait qu’elle a peur d’une toute petite créature alors que moi, elle m’adore puisque j’ai le droit de m’installer sur ses genoux tout le temps !
    — Félix, les êtres humains ont leurs secrets et nous devons les respecter. Ils sont gentils avec nous, c’est ce qui me semble être important !
    — Secrets, gentils, secrets, gentils… répète à qui veut l’entendre Jacquot, le perroquet dans sa grande cage. Oui, mes amis, cela reste à voir, Jean-Pierre et Béatrice sont gentils, mais pas tout le monde !
    — Oui Jacquot ! répond Félix avec sympathie. Il est vrai que tu as de la chance avec eux. Ce sont les meilleurs maîtres du monde. Ils t’ont ramené d’Espagne. Tu servais de modèle pour un gitan andalou qui cherchait à se faire du fric avec toi, debout sur les épaules des touristes, en te photographiant avec eux. Sous le soleil ardent et sans eau fraîche !
    — Soleil oui ! Eau fraîche ! C’est vrai, tu as raison. J’avais la liberté, mais le gitan m’exploitait… Maintenant, je suis en cage, mais Jean-Pierre et Béatrice me donnent tout l’amour dont j’ai besoin et jouent avec moi tous les jours. Ce sont des gens respectables. Ils m’ont sauvé la vie !
    — Moi aussi ! répliquent Jasper et Félix ensemble.
    — J’étais en cage à la SPA lorsqu’ils sont venus me chercher, raconte Jasper. Jean-Pierre voulait un chien de chasse et Béatrice a eu la bonne idée de me choisir parmi plusieurs chiens qui sont peut-être encore à la SPA ! Alors, tu vois Jacquot, moi je préfère la maison de mes maîtres même si je dois la garder et qu’elle est parfois symbole de cage ; dans la vie il y a des choix. Il faut parfois choisir : liberté ou sécurité. Chacun a ses choix mais aussi sa raison d’être.
    — Oui, raconte Félix devenu songeur. Moi, j’étais bien maigrichon sur les plages d’Alcudia lorsque Béatrice m’a découvert en allant faire son jogging sur la plage. Elle m’a vu, tout chétif et pitoyable que j’étais. Elle m’a entendu gémir et miauler. Moi, en la voyant, j’ai compris qu’elle me donnerait à manger. J’avais la liberté en Espagne, tout comme toi, Jacquot, mais je crevais de faim et parfois certaines gens me lançaient des pierres ! Je n’en menais pas large. J’étais encore presque un bébé. J’avais perdu ma mère, empoisonnée par les hôteliers du coin. Et mon père avait fait la malle… heureusement Béatrice m’a ramené en France !
    — Je suis désolé, mon vieux, répond Jasper avec tendresse. Tu en as bavé en Espagne malgré la mer, le beau temps et la plage attrayante ! Et toi, Jacquot, le gitan t’as bel et bien exploité. Ce gars ne te considérait que comme un objet. Moi, je dois bien l’avouer, j’ai eu beaucoup plus de chance que vous deux. Mais j’ai quand même connu l’épisode de la SPA et du confinement.
    — Pourquoi as-tu connu la SPA ? demande Jacquot.
    — Eh bien, autrefois mon maître était un homme semblable à Jean-Pierre. Sportif, beau garçon et intelligent. Il m’emmenait à la chasse tous les ans et puis, un jour, c’est lui qui a été tué et non le gibier, tu vois ? Une erreur humaine… incroyable, non ? Un autre chasseur l’a confondu avec un gibier. Je n’arrive toujours pas à y croire !
    — Et que s’est-il passé par la suite ? demande Félix.
    — C’est tout simple. Un des chasseurs du groupe m’a apporté à la SPA. J’avais peur et j’étais malheureux, mais tous les humains m’ont traité avec respect. Tous les jours des jeunes volontaires du centre s’occupaient de moi et me comblaient de caresses, mais je passais toutes les nuits en cage… jusqu’au jour où Béatrice est venue me chercher ! J’étais le chien le plus joyeux au monde. Alors, vous voyez Félix et Jacquot, la liberté et la joie de cette liberté est une notion bien relative.
    — C’est vrai, tu as raison, réplique Félix aussitôt. Viens, Jasper, allons voir si Ernest est de notre avis ? Jacquot, à tout à l’heure !
    — Coucou Ernest, c’est nous, lancent en cœur Félix et Jasper, tout heureux de se dégourdir les pattes près de l’écurie.
    — Bonjour les amis, dit Ernest tranquillement. Comment allez-vous ?
    — Bien Ernest ! Nous faisons le point sur notre vie, réplique Jasper. Justement, je parlais à Félix et à Jacquot et je leur demandais s’ils étaient contents de leur sort. Cage, liberté ou sécurité, les choses fondamentales de la vie, tu vois ?
    — Oui, mes amis, je vois, répond le vieux cheval philosophe. Demain, je fête mon anniversaire, non pas dans l’écurie, mais dehors, dans les prés voisins avec Jean-Pierre et Béatrice. Quels gens extraordinaires !
    — Je pense qu’ils t’ont sauvé toi aussi, n’est-ce-pas ? demande Jasper.
    — Oui, demain je fête une nouvelle naissance. Normalement, je devrais être mort et non dans cette écurie. J’étais destiné à la boucherie à cause de mes terribles rhumatismes. J’étais autrefois un cheval de courses. J’y trouvais mon plaisir pendant les premières années et j’aimais courir. Je rapportais de l’argent et puis, au fil des années, j’ai commencé à ressentir des douleurs. Tout a dégénéré bien vite. Je ne pouvais plus courir aussi vite et en guise de retraite, on m’a fait comprendre que je n’étais même pas bon pour la reproduction chevaline.
    — Oh, mon Dieu, gémit Jasper. Toi, exploité comme Jacquot ! Incroyable, non ? N’est-ce-pas, Félix ?
    — Heureusement, renchérit Ernest, Béatrice est intervenue. Son amour pour nous, les animaux, est grandiose et son âme est d’une grande pureté ! Par hasard, en lisant une petite annonce sur Internet, du genre « SOS chevaux.fr », elle a lu qu’il était question de me donner à la boucherie du coin ; alors elle a préféré contacter l’association et voilà, je suis maintenant ici. Demain, cela fera deux ans.
    — La vie est bien curieuse, pense Félix tout haut. Il est toujours question de liberté, de sécurité, d’argent et de mort. Parfois, je me demande quelle est notre raison d’être sur Terre !
    — Chacun a un rôle sur cette planète ! La vie n’étant pas facile tous les jours, nous en oublions parfois les joies, les motifs qui nous poussent à nous projeter dans l’avenir, mais croyez-moi, mes amis, il n’y a jamais raison de désespérer, lance Ernest d’un air placide. Nous autres ici, dans cette maison, nous vivons de l’amour de Jean-Pierre et Béatrice !
    Sur ce, les trois amis regardent justement les jeunes gens s’approcher de leur maison, bras remplis de victuailles, tout souriants et heureux de retrouver leurs animaux, source de grande joie et d’amour.
    Jasper ne peut s’empêcher de japper de joie et de s’élancer sur Jean-Pierre en faisant des grands bonds, tandis que Félix miaule coquettement en se faufilant entre les jambes de Béatrice.
    Resté seul, Ernest pense qu’il a eu de la chance. Il a deux ans demain, deux années de vie et d’amour. Son amour pour ses nouveaux maîtres est tout simplement sa raison de vivre.

     

     

     

    Pensées entre plantes et animaux

     

     

    C’est l’anniversaire d’ Ernest !
    Il fait beau. Tout le monde est heureux. Jasper, Félix et Jacquot, attendris par les mots de leur ami Ernest, et surtout horrifiés par le fait qu’un cheval puisse être considéré comme un repas pour des êtres humains, demandent gentiment à leurs maîtres de s’occuper de lui pour célébrer les deux ans de la nouvelle vie de leur compagnon.
    Jean-Pierre et Béatrice sourient. Oui, en effet c’est une bonne idée : faire une belle promenade avec Ernest. Comme la journée est belle, ils souhaitent aller dans les prés, emporter leur repas et pique-niquer. Ernest adore galoper même si ses rhumatismes le gênent dans ses mouvements.
    Quelques heures plus tard, assis joyeusement sur leur couverture, Jean-Pierre et Béatrice savourent leur repas. Un repas plutôt frugal : salade de pissenlits accompagnée d’une tranche d’agneau, fromage de chèvre, eau Evian et café pour la fin. En faisant l’impasse sur le dessert.
    Non loin du couple, un mouton et une chèvre se régalent de cette belle herbe verte dans leur enclos, tandis qu’ Ernest se prélasse à leur côté. Il admire le paysage et la verdure. Machinalement, la tête baissée dans le pré, il se met à chercher l’herbe la plus tendre, lorsque ses narines frôlent un pissenlit et un akène. La fleur champêtre, ravie de ce premier contact, choisit le moment propice pour saluer Ernest.
    — Bonjour le cheval ! Comment vas-tu ? demande la jolie fleur de pissenlit.
    — Bien, merci, tendre fleur ! Je m’appelle Ernest. Excuse-moi pour avoir soufflé sur tes petits parachutes ! Je ne tenais pas à te manquer de respect, tu sais !
    — Pas grave, joli cheval, répond le pissenlit. J’ai l’habitude des visiteurs et je me suis habitué à ce genre de choses, surtout pendant les beaux jours. Je suis très souvent présent dans les prés, aimé des êtres humains et des animaux. J’ai plusieurs missions sur Terre. On me cultive, et ce depuis plus de cinquante ans. Mes vertus sont puissantes. Ma tige est duveteuse et une fois cassée, le liquide blanc qui s’échappe est utilisé pour fabriquer le caoutchouc. On m’utilise pour les bienfaits du corps mais aussi dans la cuisine.
    — C’est vrai, tu as raison, réplique Ernest, soudain pensif. Jean-Pierre et Béatrice viennent de te déguster en salade.
    — Eh oui, je le disais ! Eh bien en fait, c’est un peu ma raison d’exister, et je m’en fais l’éloge. De plus, je suis hermaphrodite, je peux m’autoféconder grâce à mes multiples fleurs et aux insectes dans mon réceptacle. Et toi, mon ami ? Quel est le sens de ta vie ?
    — Moi, c’est l’amour que je cultive tout simplement. Aujourd’hui, j’ai deux ans. C’est une nouvelle vie. Tu vois, Jean-Pierre et Béatrice, qui viennent de te déguster, m’apprécient beaucoup. Ils m’ont sauvé de la boucherie…
    — Quoi ? Tu veux dire, que toi aussi, tu représentes un mets succulent pour les humains ? Ça, je ne l’aurais vraiment pas cru.
    Et Ernest raconte son histoire, ses périples et ses courses, en évoquant sa destinée auprès de ses maîtres. La fleur est toute pensive et finit par reconnaître que, l’amour porté à des êtres humains tel que celui qu’éprouve Ernest pour ses maîtres, est une noblesse d’âme du cheval.
    Pendant la discussion du pissenlit et du cheval, le mouton et la chèvre s’étaient rapprochés du couple. La chèvre, curieuse de nature, trouve le moment propice pour se joindre à la conversation du pissenlit et du cheval.
    — Bonjour vous deux ! Quelle belle journée, n’est-ce-pas ?
    — Oui, répondit Ernest. C’est magnifique de se reposer dans un pré, car cela change de mon écurie. J’adore profiter de ces moments agréables pour admirer tout ce que je vois autour de moi : l’herbe si belle, les arbres et les plantes… la joie de mes maîtres !
    — Tes maîtres ? Assis tous les deux sur la couverture ? demande la chèvre.
    — Oui, jeune chèvre curieuse, mes maîtres font un pique-nique aujourd’hui. N’est-ce-pas, joli pissenlit ?
    — Oui, mon ami ! répond celui-ci. Justement, nous parlions de notre vie et de notre rôle sur Terre ! Je parlais de mes vertus et de mes utilisations diverses. Oh, regarde la chèvre ! Les maîtres d’Ernest se reposent et somnolent après leur repas.
    — Ah oui, je les ai vus, réplique la chèvre. Ils dégustaient un magnifique fromage fait avec mon lait. Eh bien moi, je n’ai pas chômé depuis que j’existe sur Terre !
    — Ah oui ? Que peux-tu nous conter de beau ? demandent le pissenlit et Ernest en même temps, heureux d’avoir un nouveau compagnon.
    — Eh bien en fait, je ne suis pas jeune, comme vous le pensiez en me saluant. Notre histoire remonte à la fin de la deuxième glaciation, c’est-à-dire environ dix mille ans. Attention, je ne parle que de la période de domestication qui se situerait à cette époque, sur les plateaux d’Iran et de l’Anatolie. Les êtres humains, conscients de notre utilité, nous ont protégées autrefois en tuant nos prédateurs. Ensuite, certaines tribus ont commencé à nous élever…
    — Et qu’ont-ils fait avec vous, les chèvres ? demande Ernest très intrigué.
    — Nous sommes devenues domestiquées et étions généralement gardées dans des troupeaux qui se déplaçaient sur les collines et sur les domaines de pâturage. En fait, ce sont les enfants ou des adolescents qui se consacraient à la tâche. Le lait, notre peau, nos poils et même notre viande, sont appréciés. C’est reconnu dans le monde entier ! Un fait divers remonte en 1931, lorsque deux de mes ancêtres ont nourri Gandhi en lui fournissant sa ration quotidienne de lait, vous le saviez ?
    — Non, pas du tout ! répliquent le pissenlit et le cheval étonnés.
    — Mais ce n’est pas tout… non seulement notre peau est toujours utilisée pour le transport de l’eau, du lait caillé ou du vin, mais elle était utilisée autrefois comme parchemin, jusqu’à ce que l’imprimerie soit inventée.
    — Ernest, mon joli, où es-tu ? demande soudain Béatrice qui vient de se réveiller après une petite sieste.
    — Je suis là, je discute avec des amis, Béatrice ! répond Ernest.
    — Très bien ! Tiens, je te donne un peu d’eau, tu dois avoir soif. Moi aussi, je boirais bien un bon café… Jean-Pierre, mon amour, tu me passes la thermos ?
    — Bonté divine, intervient alors la chèvre excitée ! Pour un peu, j’aurais oublié de mentionner qu’une de mes ancêtres est à l’origine de l’invention du café !
    — C’est vrai ça ? demande Jean-Pierre, en servant une tasse de café à Béatrice. Dis donc, la chèvre, tu ne te moques pas un peu de nous ?
    — Oh, que non, répond celle-ci d’un air amusé ! Une de mes ancêtres vivait autrefois en troupeaux en Afrique, plus exactement en Éthiopie, vers l’an 850, et se nourrissait de choses et d’autres. En fait, elle mangeait ce qu’elle pouvait bien trouver, et par hasard elle trouva les grains rouges particulièrement délicieux qui se trouvaient en baies tout près d’elle. Le berger remarqua, peu de temps après, que mon ancêtre était devenue vivace et excitée bien plus que ses congénères. Il en chercha les raisons et découvrit la graine…
    — Ah, oui ? On peut deviner la fin de l’histoire, réplique Ernest. Je parie que le berger a goûté la graine, mais comment est véritablement né le café ?
    — Il a un goût amer, il a fallu procéder à la torréfaction, répond la chèvre savante. On dit que les moines ont jeté le fruit dans le feu pour lui donner du goût. En guise de goût, c’est une bonne odeur qui s’est répandue et alors, ils ont fait une infusion de cette chose devenue une boisson que personne ne conteste aujourd’hui pour ses vertus excitantes. D’ailleurs, en langue arabe, le mot café est « qahwah « et signifie « excitant ».
    — Bon sang ! Je suis enseignant et je parle plusieurs langues, intervient Jean-Pierre, mais je n’étais pas au courant de ce fait. Je bois du café tous les jours comme des milliards d’individus, mais je ne me suis jamais posé de questions sur l’histoire du café. Bien dit, la chèvre !
    — Tatata, réplique le pissenlit, excité et un peu jaloux. Si tu veux du café ou un bon substitut, tu peux toujours griller mes racines ! Ça marche aussi.
    — Oui, c’est vrai, renchérit Béatrice en enlevant son petit gilet. Oh, quel bon café. Il me réchauffe un peu.
    — Bingo, réplique la chèvre, qu’est-ce que je vois ? Alors on enlève la petite laine : la mohair, n’est-ce-pas, Béatrice ? Voilà, encore une de nos utilisations ! Sans parler de notre chair et de notre utilité pour certaines populations africaines qui survivent grâce à nous, en buvant un peu de notre sang lorsque la population en a le besoin.
    La chèvre, toute excitée et ravie de vanter ses mérites, ne voit pas s’approcher le mouton, qui partage son enclos. Celui-ci est timide et modeste : il plaît davantage à Ernest pour ces raisons, car la chèvre lui fait penser un peu à Félix, qui parfois, est tout aussi arrogant que cette dernière. Mais peu importe, il reconnaît que chacun a son histoire et sa raison d’être. D’une voix aimable, il s’adresse maintenant au mouton, qui a déjà salué le pissenlit.
    — Bonjour mon ami ! Et toi, comment vas-tu ? Que fais-tu sur Terre ?
    — Je vais bien, merci, murmure le mouton, un peu intimidé. Moi, je suis encore jeune et je n’ai pas encore l’expérience ni la maturité de Joséphine, dit-il, en désignant la chèvre. Néanmoins, nous avons beaucoup de points communs pour l’économie agricole mondiale. Nous fournissons également une vaste gamme de matières premières. Nos laines, nos peaux sont utiles pour la fabrication des vêtements de même que les sous-produits de notre abatage tels que le suif, utilisé dans la fabrication des bougies et du savon. Nos os ainsi que les cartilages servent à fabriquer la colle et la gélatine ainsi que des osselets. D’autre part, nos intestins sont souvent utilisés comme boyau de saucisses, pour les sutures chirurgicales ou pour des instruments de musique.
    — C’est ce que je raconte souvent à mes élèves, c’est vrai gentil mouton, dit Béatrice. Je suis institutrice et je travaille dans la même ville que Jean-Pierre, mon mari.
    Sur ce, Ernest qui digère sa belle herbe en écoutant la conversation, sent subitement une envie pressante l’envahir, et par pudeur, s’éloigne du petit groupe pour faire un besoin naturel. La chèvre regarde Ernest d’un air un peu narquois, écarquille davantage ses grands yeux. Le gentil mouton, qui apprécie le cheval, s’approche de lui, et contemple le crotin tout frais pour reprendre son discours interrompu par Béatrice. Le jeune mouton a pris de l’assurance :
    — Les crottes de mes semblables servent aussi à la fabrication de pâte à papier, une fois stérilisées et mélangées aux matériaux traditionnels. Et parfois, nos testicules sont appréciées dans certains pays comme l’Iran. C’est dire notre importance et puis Béatrice et Jean-Pierre ont eux-mêmes mangé une belle tranche de mouton, n’est-ce-pas ? Je vous ai vus tous les deux, vous vous êtes bien régalés, notre chair est succulente. Le monde musulman nous consomme, notamment les pays du Golfe Persique ! Quant à la France, l’élevage de moutons a fourni au début des années 2000 plus de 141 000 tonnes de viande par an, plus de 235 millions de litres de lait, pour la fabrication de 46 700 tonnes de fromage et environ 12 000 tonnes de laine.
    — Oh, que tu es bien instruit, petit mouton, répond Béatrice. Je te remercie pour ces précisions. Mais tu sais, beaucoup de tes semblables vivent surtout en Chine, en Australie de même qu’en Inde et en Iran.
    — Oui, c’est vrai ! Merci, mon amie.
    — Nous sommes très présentes en Iran aussi, intervient alors Joséphine, toujours soucieuse de sa propre valeur. Nous sommes très appréciées et parfois, les gens nous considèrent comme des animaux domestiques. Ils jouent avec nous. Nous les suivons partout, nous savons nous adapter et même faire de la moto ! Ça vous épate, non ? Et dans des pays africains, comme au Sénégal, certaines de nos cousines sont présentes en bordure de mer, dans certains villages, et mangent du papier pour survivre. Je veux dire que nous, les chèvres, nous sommes particulièrement douées pour survivre et nous habituer à n’importe quel destin.
    — Oui, c’est exact, reconnaît Béatrice. J’aurais aimé que mes élèves soient présents aujourd’hui pour vous entendre parler de votre rôle sur Terre !
    — Eh oui, Béatrice a raison, commente maintenant Jean-Pierre, alors, moi, je vais vous dire quel est notre rôle ! Béatrice et moi, nous sommes enseignants et notre raison de vivre est d’inculquer notre savoir aux futures générations humaines, du moins les bases essentielles de ce que nous considérons être notre savoir, limité, il faut bien le dire. Et notre raison d’exister est aussi celui de procréer. Béatrice souhaite un enfant et nous y travaillons assidûment, si l’on peut considérer cela comme une tâche, sourit Jean-Pierre en regardant Béatrice d’un air coquin !
    — Jean-Pierre, tu as raison, rougit sa femme. Mais dis-moi, il se fait tard. Jasper, Félix et Jacquot nous attendent.
    Sur ce, tout le monde se sépare et se confond en remerciements. Avant de partir, Béatrice ramasse quelques pissenlits pour les faire cuire afin de remplacer les épinards qu’elle a oubliés d’acheter.
    Ernest, ravi d’avoir eu une belle compagnie le jour de son anniversaire, rentre joyeusement au bercail.
    Déjà les attendent Jasper et Félix dans la cour du jardin. Le chien lape un peu d’eau dans sa gamelle devant le pérron, tandis que Félix rebouche un trou délicatement après avoir fait son petit pipi. Jacquot, lui, grignone quelques graines dans sa cage.

     

     

     

     

    Pensées sur les fourmis et abeilles

     

     

    Il reste quelques tranches de gigot de mouton. Béatrice fait cuire les pissenlits et prépare le repas. Tous les animaux, eux, ont mangé et sont repus. C’est au tour des êtres humains maintenant.
    Pendant le repas, le temps a changé. Le beau soleil a fait place à un ciel gris, maintenant si maussade, que les nuages, omniprésents, deviennent de plus en plus noirs et menaçants.
    — Bon ! Pour un petit tour dans le village afin de faciliter notre digestion, c’est raté, annonce Jean-Pierre après la dernière bouchée. Je crois, ma chérie, qu’il vaut mieux rester sagement à la maison.
    — Oui, tu as raison. De toute façon, nous avons passé une belle journée dehors. Je me sens détendue ! Pas toi ?
    — Si. Viens, nous allons regarder la télé, à moins que tu préfères une partie de cartes ou lire un peu !
    — Non, réplique sa femme. On peut regarder la télé ce soir.
    Sitôt dit, sitôt fait. La télé est allumée. Notre jeune couple est installé avec leur chien et leur chat. Sur le sofa un bocal contenant des roupettes à queues est à la porté de Jean-Pierre. Il en prend une et croque dedans.
    Au programme un reportage de la BBC sur les animaux. Ils sont d’emblée envoûtés par les belles images que présente la chaîne britannique sur la vie des insectes. L’émission a commencé, mais ils sont, tous les deux, fascinés par les fourmilières et par leur classification sociale ainsi que leur mode de communication.
    — Regarde, chérie ! Qu’en penses-tu ? Un monde fascinant, n’est-ce-pas ?
    — Oui, Jean-Pierre ! Tu sais, l’innovation des fourmis ainsi que des termites, de certaines abeilles et même de guêpes, a été de produire deux catégories d’adultes femelles qui sont les reines et les ouvrières. Et elles ont des morphologies différentes qui ont abouti à une spécialisation pour l’accomplissement de tâches distinctes.
    — Tu as raison, regarde ! Ici, on voit les ouvrières qui protègent leur nid et rapportent la nourriture !
    — Oui, et les reines, dont la longévité de vie peut être de l’ordre de vingt ans pour certaines espèces, est fertile et pond les œufs : les mâles les fécondent au cours du vol nuptial et meurent aussitôt !
    — Mon Dieu, réplique Jean-Pierre, imagine la mort de tous ces mâles, quelle horreur… mais après tout, c’est la vie et leur raison d’être sur Terre ! Oh, regarde bien ces deux fourmis qui se croisent ! On dirait qu’elles se caressent !
    — Eh bien en fait non, réplique sagement Béatrice. Tu vois deux fourmis qui se rencontrent pour la première fois ! Elle se tapotent avec leurs pattes et leurs antennes et peuvent ainsi reconnaître leur forme et leur odeur. Donc, cela leur permet de savoir si elles sont de la même fourmilière ! Et lorsqu’une fourmi revient à la fourmilière, les fourmis affamées lui caressent la tête.
    La BBC offre de splendides images. Jean-Pierre voit justement une fourmi qui ouvre sa mandibule pour régurgiter une goutte de nourriture qui sort de son estomac. Cette nourriture est constituée d’aliments absorbés hors du nid, du liquide régurgité par d’autres fourmis et des arômes qui viennent de la fourmi elle-même. D’autres images suivent ainsi que les commentaires. Jean-Pierre apprend que le monde compte environ 10 millions de milliard de fourmis. La plus petite taille est 1 millimètre et la plus grande est de l’ordre de 5 centimètres.
    Jean-Pierre reprend une roupette, tandis que la BBC passe à la fourmi indienne, capable de nids complexes sous-terrains pour échapper aux inondations qui sévissent dans le pays. Plusieurs étages montrent des chambres habitées et protégées par une coupole imperméable, le tout étant isolé par un vide sanitaire débouchant sur un puits perdu. Il est fasciné par cette architecture et cette intelligence animale.
    — Chérie, regarde bien ces petites créatures qui sont si brillantes ! Elles sont capables de se protéger de l’eau et des inondations ! Quand je pense que demain, je serai au collège à enseigner dans une classe avec un trou au toit et la flotte en prime sur notre tête !
    — Quoi, tu n’as toujours pas de réparation en cours, intervint Béatrice, outrée ?
    — La semaine dernière des ouvriers sont venus pour effectuer des travaux d’étanchéité, mais quelques gouttes tombent toujours sur ma tête, répond Jean-Pierre non sans sourire en pensant au travail brillant des fourmis.
    — Eh bien, à la bonne heure ! dit Béatrice en visionnant les fourmis australiennes que les reporters de la BBC ont filmées sur le haut d’un arbre ! Regarde, celles-ci font leur abri en repliant des feuilles, en les tirant pour rapprocher les bords.
    Avec émerveillement le couple contemple ces fourmis intelligentes qui s’activent à coudre les feuilles grâce aux fils de soie produits par leurs larves. Un gros plan sur la mandibule de la fourmi permet de voir son travail efficace. Puis s’ensuit un reportage sur la seule fourmi capable de sauter pour attraper une proie vivante : Le Harpegnathos saltator. Un vrai phénomène !
    Soudain, Jasper, sagement couché près de son maître se lève, le regarde et lui fait comprendre que lui, il a des « fourmis » dans les pattes et qu’il aimerait bien sortir un peu. Félix s’étire, baîlle un peu, il a un petit creux. Il miaule et Béatrice se lève pour lui donner quelques croquettes de poulet. Heureusement, c’est le moment de la publicité !
    Il fait noir, lorsque Jean-Pierre sort dehors, parapluie en mains, avec Jasper, qui n’a pas peur de quelques gouttes d’eau et qui s’excite. Il jappe de plaisir… Béatrice en profite pour caresser Félix et jouer un peu avec Jacquot. Celui-ci est ravi des attentions prodiguées et offre à la vue de sa maîtresse un plumage époustouflant de couleurs magnifiques. Oui, il se sent bien ici chez elle et apprécie sa sérénité.
    Lorsque Jean-Pierre revient, il enlève ses chaussures humides, les dépose soigneusement dans la petite véranda, ainsi que son parapluie, devant la maison, et prend une grande serviette de bain pour frictionner Jasper.
    — C’est toujours la pub ? demande t-il. Au fait, une fourmilière est grande. Combien de fourmis vivent dans une colonie et comment font-elles pour s’orienter ? demande le professeur de langues vivantes.
    — Eh bien, tout dépend de la colonie et des espèces, répond Béatrice. On compte plusieurs centaines de milliers, voire de millions de fourmis par colonie; en Afrique, chez certaines espèces, les colonies se comptent le plus souvent en centaines de milliers, voire en millions d’individus tandis qu’au Japon on a recensé des méga-fourmilières enregistrant plusieurs centaines de millions d’individus ! Tu te rends comptes, une fourmilière qui pourrait être aussi peuplée que notre Europe en parlant de l’échelle humaine, incroyable, non ? En ce qui concerne le sens de l’orientation, elles se servent de compas solaire pour compléter les odeurs déposées le long du dédale de leur chemin. Les messages olfactifs jouent aussi un grand rôle.
    — Effectivement, cela me laisse pantois, répond Jean-Pierre. Mais dis-moi, de quoi se nourrissent les fourmis en général ?
    — Mon chéri, leur choix peut être varié. Selon les milieux fréquentés et les espèces considérées, on va trouver des fourmis herbivores. Parmi celles-ci, il y a les fourmis moissonneuses qui récoltent des graines de nombreuses plantes pour les trier, les emmagasiner. Il y a aussi les fourmis champignonnistes qui accumulent des feuilles dans des chambres prévues à cet effet. Ces feuilles vont se décomposer en un substrat qu’elles ensemencent pour obtenir des champignons dont elles vont se nourrir. On compte aussi les fourmis carnivores qui chassent des proies vivantes dont la fourmi appelée Harpegnathos saltator et les fourmis éleveuses de… pucerons ! Elles se nourrissent de miellat, excès de sève rejeté par les pucerons ou les cochenilles. Les fourmis ouvrières obtiennent le liquide sucré en caressant et en tapotant l’abdomen du puceron. Certaines espèces, plus évoluées, vont même jusqu’à élever ces pucerons comme du bétail et les protéger des prédateurs, Jean-Pierre !
    — Oh, comme tout est bien organisé ! remarque Jean-Pierre. Nous, les hommes, sommes souvent convaincus de notre supériorité, quelle erreur de notre part ! Chaque espèce, chaque plante a sa fonction et son intelligence, n’est-ce-pas, Jasper ?
    En guise de réponse, le chien, encore humide, s’approche de son maître et lui lèche la joue. Tous les deux sont maintenant dans la cuisine. Félix, le chat, en profite pour les rejoindre afin de quémander un peu de lait. Jean-Pierre le caresse et s’apprête à se faire un lait chaud pour lui et Béatrice. En ajoutant un peu de miel. Du miel de la ruche d’un gentil collègue !
    Entre-temps, la publicité est terminée et la nouvelle émission concerne les abeilles. La BBC diffuse quelques clichés spectaculaires et souhaite présenter aux spectateurs un petit sommaire des ressemblances entre ces abeilles et les fourmis que la chaîne britannique vient de présenter. En effet, l’organisation sociale est fort intéressante et similaire par certains aspects.
    — Voici ton lait chaud, fait Jean-Pierre, en déposant la tasse près de Béatrice. On regarde la fin de l’émission et on va dormir.
    — Oui, demain la journée sera rude. Je dois faire encore une autre exposition, raconte Béatrice. Le mois dernier, c’était les fourmis, mais cette fois-ci, ce sera les mésanges. Un jour, peut-être, ce sera les abeilles. Les élèves et certains parents d’élèves viennent aux expositions et sont enchantés. Je prends soin de présenter les thèmes d’une façon plutôt ludique, pour que les gens assimilent mieux les informations sans trop de chiffres à retenir. En fait, tout dépend du thème choisi. Cela demande une grande préparation : les informations à apporter et la manière de les présenter dans la salle.
    — Eh, oui, chérie, dit Jean-Pierre, un jour tu pourras raconter tout ce que tu sais à notre rejeton ! Ah, au fait, quand comptes-tu passer les vacances à Majorque ?
    — Je pense que juillet est moins chaud que le mois d’août, répond Béatrice, d’une voix enjouée. Une semaine au soleil et au bord de la mer, ça va nous faire du bien. Je dois faire les réservations et prendre les billets d’avion.
    — D’accord, et moi, de mon côté, je vais prévenir Nadine qui s’occupera de la maison et des animaux. Que ferions-nous sans elle ?
    Le présentateur de la BBC annonce la diffusion du programme concernant les abeilles, pendant que le couple boit le lait encore chaud. L’émission porte, tout d’abord, sur la vie d’une reine des abeilles.
    — Eh bien, fait Jean-Pierre attentif. Les mâles sont encore une fois de plus les perdants. La reine va s’accoupler avec plusieurs mâles qui vont ensuite mourir ! Pas juste, vraiment, non !
    — Eh oui, que veux-tu, Jean-Pierre ? C’est la vie. Regarde plutôt cette abeille ! C’est une reine. Tu sais, elle passe sa vie à pondre des œufs, et des œufs femelles pour assurer la relève de l’espèce. Elle peut pondre environ 2500 œufs en 24 heures, ajoute Béatrice. Mais à partir de la quatrième année, elle ne pondra plus beaucoup et la ponte consistera à déposer que des œufs sans spermatozoïdes qui donneront naissance à des mâles.
    Le couple apprend qu’une reine des abeilles peut vivre jusqu’à 5 ans grâce à la fameuse gelée royale, produit blanchâtre et gélatineux fabriqué grâce aux glandes cervicales des nourrices. Les images les montrant, nourries de cette gelée, sont magnifiques. Comme pour les fourmis, les abeilles ont une organisation sociale comme l’indique le reportage. Les abeilles ouvrières dont le but est de nourrir la reine et de prendre soin d’elle, sont organisées. Chacune assume son rôle.
    Jean-Pierre et Béatrice ont bu leur lait et posent la tasse vide près du bocal à roupettes. Le reportage porte sur les étapes des tâches variées des abeilles ouvrières. Le couple assiste à la naissance de l’abeille qui naît au bout de 21 jours après avoir été une petite larve auparavant. Les premiers jours passés consistent à nettoyer les débris de la ruche et des cellules tout comme les couvains. Vient la phase de la nourriture pendant laquelle les abeilles ouvrières agissent comme nourrices pour nourrir les larves ouvrières avec de la bouillie de miel et de pollen. Une fois les glandes pharyngiennes développées, elles nourrissent la reine avec la gelée royale produite par leurs glandes. Ensuite suivra la période de magasinière : recevoir les pollens apportés par les butineuses pour les déposer dans les alvéoles et operculer le miel. Peu de temps après, elles produiront des écailles pour édifier des rayons ou en réparer grâce à la maturité des glandes cirières.
    Soudain, Jean-Pierre se lève. Il a chaud. Il ouvre la fenêtre pour avoir un peu d’air. C’est le moment ou le reporter parle du rôle de ventileuse consistant à battre des ailes pour aérer la ruche à l’entrée. L’homme est fasciné par les images. Il saisit l’importance de l’information et du rôle de ces merveilleux insectes. Il admire ces ventileuses qui laissent passer les abeilles butineuses en interdisant l’accès aux abeilles d’autres ruches. Il constate que tout est admirablement bien organisé et pense involontairement que l’organisation de son lycée bat de « l’aile » et laisse à désirer. Il a presque honte d’être un « humain » , et de surcroît de profiter de ces animaux pour s’accaparer du miel qu’il déguste tous les soirs dans son lait avant de se coucher.
    Béatrice admire aussi ces formidables créatures. Elle vient de voir une abeille gardienne surveiller l’entrée de la ruche et demander du renfort contre une invasion d’abeilles appartenant à d’autres ruches. Elle apprécie les butineuses qui transmettent le butin aux abeilles magasinières.
    Soudain, c’est un coup de tonnerre qui couvre le son du poste de télévision ! Un éclair illumine la pièce et un second coup de tonnerre encore plus fort se fait entendre. Jasper est nerveux. Jean-Pierre referme la fenêtre. La pluie tombe maintenant encore plus soutenue que tout à l’heure.
    Béatrice préfère éteindre le poste de télévision : les orages la rendent aussi nerveuse.
    C’est l’heure d’aller dormir. Béatrice pense à ses mésanges pendant que Jean-Pierre aux gouttes d’eau qui tomberont du toit de sa classe demain pendant les cours.
    Ernest dort dans son écurie, pendant que Jasper et Félix sont couchés au bord de la cheminée. Jacquot est là, lui aussi. L’orage a fini de faire trembler la maison et les êtres.
    Tout est paisible.

     

     

     

     

    Pensées sur le soleil et la lune

     

     

    Nadine, la nièce de Jean-Pierre, débarque le jour du départ du couple.
    Jasper et Félix ont remarqué les allez-et-venues dans la maison et des valises ouvertes. Ils sont un peu nerveux, ils pressentent l’inévitable : le départ de leurs chers maîtres. Jacquot a parlé en prononçant quelques mots tels que « vacances », « voyages », « seul » ; par contre, Ernest, reste serein. Il sait que ses maîtres ont besoin de repos au bord de la mer.
    En effet, Jean-Pierre a eu une année stressante dans son lycée, où les conditions de travail se détériorent d’année en année. Le toit de son établissement n’a toujours pas été réparé et il tremble à chaque fois qu’il pleut. Alors, système « D« oblige, il a pris soin de poser un petit seau à l’endroit précis où les gouttes tombent. En arrivant un jour à l’improviste dans sa classe, c’est le proviseur qui a pâli en constatant l’absurdité de la situation. Les élèves, eux, ont rigolé et ont posté sur internet les photos de leur classe… avec le seau !
    Béatrice, quant à elle, a eu beaucoup à faire avec ses expositions sur les fourmis et les mésanges pour ses petits élèves. De plus, son bénévolat, pour sauver les âmes en peine à quatre pattes, lui a demandé beaucoup d’énergie. Elle a sauvé d’autres chats et chevaux tels que Félix et Ernest.
    Alors, forcément, Félix est un peu nerveux. Il a l’impression que ses maîtres ne reviendront pas et a peur de les perdre. Pire, encore, il a peur de voir débarquer un autre chat affamé et orphelin dans les bras de Béatrice à son retour. Félix est un peu jaloux.
    Nadine fait le tour de la maison et après avoir embrassé le couple et salué les animaux, elle range ses affaires dans la chambre d’amis. Elle aime la maison de son oncle et une semaine à la campagne en compagnie des animaux la comble de bonheur.
    Pendant ce temps Jean-Pierre et Béatrice rassurent les bêtes et leur parlent en leur promettant de revenir bientôt. Nadine reste seule avec Jasper, Félix, Jacquot et Ernest.
    Après deux heures de vol, les voici arrivés à destination en début de soirée. Leur petite finca à Alcudia va leur permettre de se reposer. Piscine, mer et plage, chaleur estivale vont procurer la détente nécessaire pour que le couple décompresse un peu et prenne le temps de vivre.
    Après une nuit pleine de sommeil, le couple se lève, réveillé par les premiers rayons du soleil qui filtrent les volets verts de la finca.
    Comme le frigidaire est vide, il faut faire les courses, mais Béatrice a décidé de prendre un petit déjeuner – café con leche y magdalenas (café au lait et madeleines) – au petit bistrot du coin comme chaque année. Pedro, le propriétaire du bistrot, y travaille depuis plus de 20 ans, c’est dire qu’il il fait partie du décor d’Alcudia ! Pedro, cœur sous la main, est en fait andalou. Il est venu à Majorque pour une vie meilleure, et surtout à cause d’Inès, sa femme, qui préférait cette île située près de sa ville natale, Valencia.
    Avec un sourire au coin des lèvres, Béatrice repense au jour où elle a ramené le petit chaton affamé chez Pedro, qui aussitôt, lui avait donné de l’eau et quelques tranches de jambon. Eh oui, sacré Pedro, ça va lui faire plaisir de nous revoir, pense la jeune femme.
    Déjà, le bistrot est plein de monde : gens du coin et les nombreux touristes. Tous prennent le café sur la petite terrasse ensoleillée. Béatrice et Jean-Pierre cherchent une table parmi les autres clients. Ils n’ont pas encore vu Pedro. Sans doute est-il occupé dans la cuisine à tartiner les tranches de pain de « sobrasada ».
    Jean-Pierre songe qu’il est ravi de pouvoir parler toutes les langues qu’il enseigne à des élèves plus ou moins motivés. En plus de l’espagnol, il parle l’anglais, l’allemand et l’italien. Béatrice se débrouille en anglais, mais ne parle que quelques mots d’espagnol.
    — Holà ! Amigos mios ! s’écrie brusquement Pedro en les apercevant près du couple anglais qu’il s’apprête à servir.
    Après avoir échangé deux mots aimables avec le couple britannique, il se dirige maintenant vers Béatrice et Jean-Pierre, qu’il appelle « mes amis français » à qui veut l’entendre. Il les embrasse très chaleureusement.
    — Holà Pedro ! Quel plaisir de te voir ! s’exclame Jean-Pierre d’une voix émue.
    Accolades et embrassades. Quelques larmes de bonheur. Pour eux, cette retrouvaille est une source de joie profonde. Cette chaleur humaine les énivre de bonheur tout autant que le soleil en Espagne et ses tapas. Il s’ensuit une petite discussion amicale sur la santé de la famille de Pedro, les affaires du bistrot et sur les nouvelles du pays. Le couple français raconte la vie stressante qu’il vient d’endurer en France, puis Pedro prend leur commande. Peu de temps après, il revient tout souriant avec le café au lait et les madeleines.
    — Dis-moi, comment va le chat ? s’enquiert Pedro.
    — Félix ? Très bien. Nadine s’occupe de lui pendant nos vacances.
    — Nadine, tu nièce ? Comment va t-elle ?
    Jean-Pierre sait que Félix est toujours présent dans les pensées de son ami andalou qui aime bien Nadine aussi. Celle-ci aime les animaux et la langue espagnole qu’elle étudie. Béatrice, elle aussi, ressent de l’affection pour Pedro, qui l’avait autrefois aidée à trouver un bon vétérinaire pour examiner Félix avant de le vacciner.
    Après le petit déjeuner Jean-Pierre et Béatrice vont louer une voiture pour leurs déplacements pendant la semaine. Ainsi, ils pourront visiter d’autres régions de cette belle île. Puis, ils filent se ravitailler.
    Il fait chaud et le couple transpire. Jean-Pierre et Béatrice reviennent les bras chargés de victuailles et commencent à préparer leur déjeuner pour le déguster sur la terrasse. Le soleil est ardent et une sieste s’impose. Près de leur piscine ils se reposent, repus de leurs tapas, sous le grand parasol. Demain, ils iront à la mer avec de quoi passer toute la journée : boissons, fruits et petits pains, crème solaire, chapeaux, livre ou magazines.
    Après une grasse matinée prolongée jusqu’à dix heures, Jean-Pierre et Béatrice se lèvent et déjeunent copieusement avant de rejoindre la plage pour y passer la journée. Ils utilisent la voiture louée pour accéder à la grande baie d’Alcudia déjà bondée de vacanciers.
    — Quelle belle journée, souffle Béatrice à son mari, une fois installée confortablement sur sa chaise longue. Le soleil cogne. Il faut bien se protéger !
    — Eh, oui tu as raison. Mais dis-moi, ne serions-nous pas mieux dans l’eau ? N’as-tu pas envie de nager un peu ? La mer est si belle !
    Et comment ? Bien sûr que si, cette baignade leur plaît. Elle est parfois entrecoupée d’une petite séance de bronzage, mais l’eau limpide et rafraîchissante les attire indubitablement. Les heures passent vite. Ils bronzent, se reposent et retournent se baigner. Ils se prélassent en s’efforçant d’oublier les soucis quotidiens.
    Peu à peu, les gens quittent la plage. Mais Jean-Pierre et Béatrice sont trop heureux de profiter de ces moments de bonheur ! Parfois, ils se désaltèrent et croquent dans une pomme.
    Il est presque vingt heures trente et ils sont toujours dans l’eau ! Le soleil va bientôt se coucher et la lune fait son apparition discrète sous forme de croissant d’une couleur jaune pâle. Le ciel est légèrement orangé, des mouettes volent en tournant autour du couple ou en direction de la plage un peu sombre par endroits. La mer est calme et claire. Les bruits s’estompent ; on n’entend plus que les cris des mouettes…
    — Jean-Pierre ! Regarde cette lune, et le soleil couchant ! C’est poétique, tu ne trouves pas ? s’exclame Béatrice.
    — Oui, c’est même très romantique ! réplique son mari. Ah, que je suis heureux d’être ici. Avec toi !
    Pensif, le couple admire le ciel devenu orange vif à l’horizon, la lune plus lumineuse et toute la mer immense autour d’eux. Devant ce magnifique spectacle, les mots manquent pour décrire tout ce que les jeunes gens ressentent à la minute présente. La beauté est si saisissante, que le couple reste silencieux. Jean-Pierre échange un regard ému à Béatrice, qui est aussi tout aussi bouleversée que lui. Soudain, une larme coule le long de la joue de Béatrice, une larme de bonheur face aux éléments de la nature. Jean-Pierre s’approche de sa femme, l’entoure de ses bras puis l’embrasse tendrement, en lui disant que, elle aussi, elle est tout aussi belle que ce paysage magnifique.
    Le soleil s’est couché maintenant. Le ciel embrasé et pourpre, devient plus sombre, de même que la mer et la plage. Il est temps de regagner la plage et de se sécher.
    — Mais dis-moi, chérie, comment sont nés le soleil et la lune ? Sont-ils vraiment si loin de nous ? s’enquiert soudain Jean-Pierre, après s’être essuyé et avoir enfilé des vêtements secs.
    — Les scientifiques pensent que la cause la plus probable de la naissance du Soleil serait l’explosion d’une étoile – supernova – à proximité du nuage de poussière ou bien le passage de ce dernier dans un des bras de la galaxie qui aurait provoqué sa contraction, il y a plus de 4,5 milliards d’années. En fait, le soleil a déjà vécu la moitié de son temps et peut être considéré comme une petite étoile à environ 150 millions de kilomètres de nous. Quant à la Lune, dont la distance est 384 400 kilomètres, on spécule sur son origine. Certains scientifiques parlent d’un astéroïde capturé, ou bien de la fission d’une partie de la terre par l’énergie centrifuge. Mais d’autres corroborent l’hypothèse d’un impact géant tel qu’une collision entre la jeune Terre et un objet gros comme Mars, appelé Theia, qui aurait éjecté de la matière autour de la Terre pour former ce que nous considérons comme la Lune aujourd’hui. Il y a bien longtemps, environ 4,5 milliards d’années.
    — Impressionnant Béatrice, tu ne trouves pas ? En tout cas, la lune est belle et est certainement l’astre le plus visible dans le ciel. On y voit à l’œil nu ses contours et avec des jumelles les sombres plaines basaltiques et les cratères.
    Soudain, une petite ombre s’approche de Jean-Pierre qui effrayé, a arrêté de parler. Béatrice, elle, rit de sa frayeur ! Oh, mon Dieu, cette ombre n’est que la silhouette d’un chat errant, qui cherche un peu de nourriture et des caresses. Le chat est encore jeune et ressemble un peu à Félix. Béatrice prend ses victuailles et sort du panier un petit mets pour chat… Partout où elle va, elle prend soin de prendre de la nourriture pour chats pour tous ses déplacements… Ainsi, elle peut nourrir les âmes affamées qu’elle rencontre. La bête se jette sur le mets délicat au poulet. Le couple ne peut s’empêcher de repenser au jour où ils ont connu Félix ; c’était il y a 3 ans. Cette pensée les émeut, car ce chat aimerait sûrement aussi avoir un maître. Par chance, l’animal, qui vient de terminer son repas, s’éloigne de quelques mètres, puis s’arrête pour entreprendre une petite toilette. Jean-Pierre et Béatrice en profitent pour quitter silencieusement la plage. Non, ils n’emporteront pas d’autres chats avec eux en France. Félix serait trop jaloux et mécontent !
    Avant de se coucher, le couple déguste une paella sur la terrasse de leur finca. La lune éclaire leur table. Jean-Pierre trinque avec Béatrice : une petite sangria pour terminer la journée en beauté. Ils contemplent encore une fois la lune et les étoiles, en silence, pour profiter de cet instant merveilleux…
    Vers minuit, ils vont se coucher. Avant de dormir, écouter de la musique : Stan Getz accompagnée de la belle voix d’Astrid Gilberto. Un ravissement pour les oreilles, pensent-ils avec bonne humeur. Cela les rend tout câlins et amoureux… Bientôt, la Bossa Nova fait place aux soupirs langoureux de Béatrice, qui sous l’étreinte de Jean-Pierre, se sent amoureuse et comblée de bonheur !
    Le lendemain matin, Béatrice admire la vue qui donne sur leur piscine et la terrasse en ouvrant les volets verts. Les jeunes gens se lèvent et prennent le petit déjeuner sur la terrasse.
    Aujourd’hui, ils aimeraient faire une petite excursion jusqu’au cap Formentor qui marque le point le plus septentrional de Majorque avec un phare tout au bout. On y accède en traversant une pinède tranquille pour arriver dans un méli-mélo de falaises et de roches. Rien de tel pour faire un peu d’exercice et de voir un petit bout de l’île sans rester inactifs toute la journée sur une plage, pensent-ils d’un air enjoué.
    — Chérie, il faudrait emporter des boissons et des sandwiches, déclare Jean-Pierre. Nous ferons une pause casse-croûte quelque part. Surtout, n’oublions pas notre caméra digitale. Qui sait, tu feras peut-être un jour une expo sur l’île de Majorque !
    — Tout est prêt, déclare Béatrice très organisée. Heureusement, les animaux sont restés en France. Au fait, comment va Nadine ? As-tu pu lui parler ?
    — Oui, elle a dit que tout allait bien, mais que le temps n’était pas terrible. De la pluie comme toujours…
    Déjà, ils se sont éloignés et atteignent rapidement la forêt qui les protège du soleil ardent. Pendant un certain temps ils marchent en silence pour mieux profiter de ce moment de bonheur : sentir les odeurs de la pinède et s’en imprégner. Surtout pour Jean-Pierre qui a vécu dans les Landes, cette petite excursion lui rappelle bien des souvenirs ! Ils marchent toujours. Le soleil est devenu encore plus audacieux et les jeunes gens transpirent. Il est maintenant presque midi et un petit creux se manifeste ainsi que le besoin de boire. Il fait plus de 35ºC !
    — Ouf, dit Béatrice en posant son sac à dos sur le sol près d’une petite roche, faisons une pause ici. Mon Dieu, quelle chaleur !
    — Oui, ici, ça cogne dur alors que chez nous il pleut ! remarque son mari. Allons, mangeons et buvons un peu !
    — Oui, répond Béatrice en s’essuyant le front avec un mouchoir en papier. Tiens, prends ton petit pain avec le saucisson sec.
    — Merci. Tu vois, après avoir admiré hier soir la lune et les étoiles, c’est le soleil que j’admire vraiment, nous avons pris des couleurs à la plage et c’est à cause de LUI que nous sommes ici en vacances.
    — Eh oui, sacré soleil, sans LUI, que serions-nous ? rétorque Béatrice volubile. Parmi les 200 milliards d’étoiles dans notre galaxie, c’est celle ci qui compte le plus pour nous les humains. Tu sais que le soleil à lui seul représente plus de 99,8% du système solaire, ce qui vaut dire que l’ensemble de toutes les planètes et comètes ne représentent que 1/100 du soleil.
    — Vraiment ? demande Jean-Pierre.
    — Oui, imagine en fait par analogie un dé à coudre par rapport à un litre d’eau. Quant à l’ordre de grandeur du soleil par rapport à la terre, imagine une petite bille de 12 mm placée à 150 mètres d’un objet dont le diamètre de 1,4 mètre représenterait le soleil. Tu vois, que le soleil est véritablement grand. Un tiers de son diamètre équivaut à la distance de la Terre-Lune.
    — Impressionnant ! clame Jean-Pierre.
    — Oui, le soleil pourrait contenir 1.300.000 fois la Terre. De par son diamètre on pourrait y placer 190 Terre côte à côte au niveau de l’équateur, poursuit Béatrice entre deux bouchées. Cela reste rêveur, n’est-ce-pas ?
    — Oui chérie. J’imagine que tes petits élèves sont fascinés par tes récits et tes leçons. Moi, pour impressionner mes lycéens ayant atteint l’âge de la puberté, c’est plus dur.
    — Tu as raison. J’ai de la chance, admet Béatrice. Les petits choux sont très jeunes. Ils s’intéressent encore aux choses qui les entourent et aiment découvrir un nouvel environnement. Je pense qu’ils seront fascinés par le cap Formentor. Alors, après la pause casse-croûte, il vaut mieux y aller. Nous sommes presque arrivés, poursuit la jeune femme.
    Sur ce, victuailles remballées, le couple reprend la marche. Vingt minutes plus tard les pinèdes font place à un espace ensoleillé de rochers. Et puis, une petite brise annonce que la mer est tout près, enfin les falaises…
    Voilà, le cap Formentor est maintenant devant eux. La grandeur des falaises, la profondeur de la mer les impressionnent si bien que la jeune femme prend la caméra pour immortaliser ces paysages dans sa mémoire. Le vent balayant les mèches de leurs cheveux, ils admirent le paysage avec ravissement. Ils restent debout, les bras ballants, en contemplant cette nature grandiose. Soudain, ils se sentent tout petits. Un sentiment d’humilité et de respect vis à vis de la Nature les envahit. Béatrice prend une fois de plus conscience que sa place dans le monde est éphémère, presque insignifiante. Que le savoir qu’elle transmet aux élèves et aux futures générations est très limité. La gorge nouée par l’émotion, elle se détourne de Jean-Pierre, pour qu’il ne s’aperçoive pas de son trouble et de ses larmes. Des larmes suite à une prise de conscience, quelque chose d’ineffable qu ’elle vient de ressentir au plus profond de son être…
    Après une journée de marche, les jeunes gens fatigués, éprouvent le besoin de se retrouver seuls chez eux. L’air marin et le soleil ardent les ont épuisés. Pour se détendre, ils profitent de la piscine en buvant un cocktail sans alcool.
    Ils n’ont plus la force de beaucoup parler . Ils ne souhaitent qu’une chose : dormir, passer une bonne nuit pour reprendre des forces.
    Le lendemain matin Pedro les attend à la bodéga.
    — Hola amigos ! s’exclame Pedro à la vue de ses deux amis français. Comment ça va ?
    — Très bien, Pedro. Merci et toi ? Comment vas-tu ? fait Jean-Pierre tout souriant.
    — Bien aussi, répond Pedro en tapotant amicalement l’épaule de son ami. Beaucoup de travail comme d’habitude. Alors, qu’est-ce que je vous sers ?
    — On va prendre un café au lait avec des churros, n’est-ce-pas, Béatrice ? Cela va changer du pain.
    — Oui, répond Béatrice d’un air enjoué. Mais mettons nous à l’ombre pour profiter du petit déjeuner. Car il fait déjà très chaud.
    Le jeune couple s’assied à une table ombragée grâce au parasol que Pedro a installé sur la terrasse. En attendant leur commande le couple observe leurs voisins de table, un autre jeune couple, probablement en voyages de noce à Alcudia, étant donné les nombreux baisers et doux regards échangés toutes les minutes. Un peu plus loin, Jean-Pierre remarque une famille allemande, qui semble parler de leurs projets pour la journée. Jean-Pierre saisit quelques bribes de la conversation et sourit. À côté des têtes blondes un berger allemand boit l’eau fraîche que Pedro, ami des animaux, a versée dans un grand bol. Le chien semble appartenir à la famille allemande.
    — Eh bien, remarque Béatrice, ce chien a soif. Il fait chaud pour lui, n’est-ce-pas ?
    — Tu as raison. Il me fait penser à Jasper.
    Pedro arrive maintenant avec un plateau sur lequel figurent la commande du couple français et celles d’autres clients. Par inadvertance, Pedro fait tomber un churro par terre en déposant une tasse de café sur la table du couple. Le berger allemand s’empresse de le renifler avant de le saisir entre ses crocs. Puis des paroles en allemand sont échangées.
    — Qu’est-ce-qu’ils disent ? demande Béatrice, tasse à la main pour la porter à ses lèvres délicates.
    — Ils ont grondé leur chien. Son nom est Rudi. Une superbe bête !
    Les Français déjeunent tranquillement en admirant le petit coin de rue dynamique avec ses petits commerces où se ravitaillent les touristes tous les jours. Comme ils ne sont pas pressés et n’ont rien planifié pour la matinée, ils reprennent un café au lait que leur sert Pedro dans un verre. Eh oui, « en el vaso », comme on dit ici. Les jeunes gens observent d’autres clients qui viennent d’arriver. Deux grands gaillards dynamiques et souriants, entre 40 et 50 ans, s’approchent et prennent place tout près d’eux. Jean-Pierre pense que les deux hommes sont Anglo-Saxons. En écoutant discrètement leurs paroles, il en a la certitude.
    Le plus petit des deux hommes passe la commande en langue anglaise, d’une manière si courtoise, que Jean-Pierre en déduit qu’il doit être Anglais. Cette politesse exacerbée n’est pas sans lui rappeler ses quelques séjours en Angleterre avec ses élèves. Il sourit en repensant à ses visites dans la capitale anglaise et à la nourriture anglaise.
    Il observe un instant les deux hommes. Il fait part de ses pensées à Béatrice qui discrètement porte son regard sur les deux messieurs. Sans aucun doute, ils sont Anglo-saxons, pense t-elle.
    — Chéri, je pense qu’ils sont anglais ou américains, je ne saurais trop le dire, dit elle en faisant un peu la moue. Et les autres là-bas, les têtes blondes avec le chien, hein, ce sont des Allemands, n’est-ce-pas ?
    — Oui, c’est un bistrot plein de touristes ici et Majorque est la destination rêvée des Allemands. Ici, ils reprennent des forces pour le travail, car en Allemagne on ne rigole pas trop ! répond Jean-Pierre avec un large sourire.
    Un grand éclat de rire venant du grand gaillard fait sourire Béatrice qui le trouve plutôt sympathique. Son ami vient sans doute de raconter quelque chose de drôle, peut être une blague. Pedro ne laisse pas le temps à Roger de répondre ou de raconter une autre blague. Le breakfast commandé par Roger vient d’être servi sur la nappe jaune des deux compères. Un vrai repas : un brunch. Thé, café, jus d’orange, saucisses, bacon, œufs, pain de mie toasté, beurre, haricots en grain Heinz et tomates… Que cela sent bon ! Rudi, qui n’a pas perdu une seconde des allez-et-venues de Pedro, profite d’un moment d’inattention de ses maîtres pour se ruer vers la table voisine.
    Les deux hommes deviennent hilares pendant que Rudi pose son museau sur le genou de Roger pour quémander la saucisse que celui-ci s’apprête à déguster. Le gentleman anglais - amour des animaux oblige - n’a pas le cœur à repousser ce chien magnifique, qui se jette sur la viande. L’autre homme rit davantage et devant la scène le couple français finit pas rire également en pensant à leur propre chien Jasper qui aurait certainement été heureux de profiter des vacances et d’être à la place du berger allemand.
    — Ah, Roger, my friend, que serait le monde sans nos compagnons à quatre pattes ? remarque gaiement l’homme le plus grand en portant machinalement son regard sur les jeunes Français à la table voisine.
    — Tu as raison, Jimmy ! dit l’autre amusé avec un accent britannique.
    De ce fait, Jean-Pierre se joint à la conversation en anglais et échange quelques mots sur la compagnie animale avant même que la famille allemande intervienne pour appeler leur chien devenant de plus en plus envahissant. Flegmatique, Roger reste calme et conserve son humour. Il se dit qu’il mangera mieux plus tard et se met à parler en français pour répondre à Jean-Pierre. Il en profite pour se présenter ainsi que son ami américain Jimmy. Son accent britannique est charmant ! Béatrice est sous le charme…
    — Mon nom est Roger, je suis Anglais. Je viens de Nottingham. Jimmy, mon ami, est Américain et vit à Rochester près de New York. Nous passons une semaine de vacances à Majorque. Une belle région d’Espagne, n’est-ce-pas ?
    — Oh oui, répond Jean-Pierre qui se présente ainsi que Béatrice. Nous aussi, nous adorons cette île et nous y passons nos vacances chaque été. Ma femme et moi, sommes enseignants en France. Mais dites-moi, vous parlez très bien le français !
    — J’aime beaucoup le français, répond Roger enthousiaste. Et puis, ma femme est Française comme celle de Jimmy d’ailleurs ! Mais, vous aussi, vous parlez l’anglais couramment !
    — Je suis professeur de langues dans un collège. J’enseigne l’anglais et l’allemand, répond Jean-Pierre flatté . Ma femme est institutrice dans le même village.
    — Rudi, crie une voix enfantine. Que fais-tu, vilain chien ?
    Rudi qui n’a pas cessé de renifler Roger et l’odeur du bacon, redresse brusquement la tête et retourne vers la table de ses maîtres qui viennent de régler l’addition.
    — Auf Wiedersehen ! lance Pedro avec un grand sourire, car ces Allemands sont aussi des clients assidus et généreux.
    — C’est international ici, n’est-ce-pas ? intervient Jimmy dans un français impeccable laissant le couple français béat d’admiration.
    — Oui, en été beaucoup de touristes viennent passer les vacances sur l’île, réplique Jean-Pierre.
    Le couple raconte ses premiers jours passés à Alcudia et les joies vécues au cap Formantor ainsi qu’à la plage immense de sable d’Alcudia. Jimmy et Roger leur parlent de leurs projets. Ils vont rester encore une journée dans la belle île avant de se rendre dans le Morvan. Roger a une résidence secondaire dans cette merveilleuse région française et ils souhaitent y passer une autre semaine de vacances. Leurs femmes respectives sont déjà là-bas. Jimmy évoque les bons souvenirs de la région qu’il connaît déjà puisque son ami Roger l’a invité plusieurs fois à y séjourner.
    En compagnie des deux hommes, le temps passe bien vite et c’est avec plaisir que les jeunes Français évoquent leurs voyages à travers le monde. Ils connaissent l’Espagne, l’Europe, les États-Unis ainsi que certains pays du Maghreb.
    Il est maintenant plus de midi. Malgré les parasols placés au dessus des tables, les rayons du soleil devenus plus chauds, s’infiltrent à travers le tissu. Béatrice s’ humidifie la nuque et le front. Elle commande une « agua mineral sin gas » à Pedro qui apporte sur-le-champ un pichet et quatre verres.
    — Il fait chaud, n’est-ce-pas, intervient Jimmy. Un bel été ! Tout le monde fait des kilomètres pour trouver le soleil et profiter de la lumière et de sa chaleur.
    — C’est véridique, n’est-ce-pas Jean-Pierre ? fait Béatrice. Nous profitons de nos vacances en Espagne grâce au soleil. Nous venons de passer une belle journée avant-hier sur la plage d’Alcudia. Nous avons bronzé et nous nous sommes baignés jusqu’à vingt heures trente. On apercevait un petit croissant de lune, c’était magnifique !
    — Ma femme et moi, adorons la nature ! Nous nous posons aussi beaucoup de questions sur les éléments de l’univers et ce sur qui nous entoure.
    — Ah, bon ! Très bien, réplique Jimmy. Roger et moi, aussi. Nous sommes tous les deux ingénieurs dans l’aéronautique et passionnés d’astronomie. Les astres, les planètes, les étoiles, les comètes et notre voie lactée. Pour moi, c’est le soleil, qui me fascine le plus. C’est incroyable, n’est-ce-pas, que malgré la distance de plus de 150 millions de kilomètres qui le sépare de la Terre, sa chaleur arrive à brunir et parfois même brûler notre peau ! Incroyable, non ? Étoile, boule de gaz, le soleil est déjà arrivé à la moitié de sa vie active et termina de vivre en augmentant de volume jusqu’à engloutir la Terre. En fait, il deviendra une géante rouge pendant 500 millions d’années. Incroyable, non ?
    — En effet, fait Jean-Pierre, soudain très intéressé par le sujet. Et alors, qu’est-ce qu’il se passera par la suite ?
    — Eh bien, la gravitation jouera un rôle important car le noyau s’effondrera, vu que la pression interne ne pourra plus compenser la force de gravitation. Le soleil épuisera tout son combustible et deviendra aussi petit que la Terre, après quoi, il se refroidira très lentement en quelques milliers de milliards d’années.
    — Vous parlez de combustion, très bien, soit, mais quelle est cette énergie qui caractérise le soleil ?
    — Il faut savoir que le soleil est composé de 70% d’hydrogène et de 28% d’hélium. Les 2% restants représentent la plupart des autres atomes présents dans l’univers. Les étoiles créent tous les matériaux existants dans l’univers, à partir de l’hydrogène. L’énergie du soleil est une bombe gigantesque thermosnucléaire dont la puissance, émise sous forme de photons, est le résultat de la combustion de 596 millions de tonnes par seconde d’hydrogène convertis en 592 millions de tonnes par seconde d’hélium. La perte, 4 millions de tonnes/seconde se traduit sous forme de rayonnement gamma. Chaque cm² émet une énergie de 6 kilowatts. Cette pile thermosnucléaire fonctionne grâce à la transformation de 4 noyaux d’hydrogène qui fusionnent pour fournir 1 noyau d’atome d’hélium avec la libération d’une énergie de 25 000 mégawatts par gramme et par seconde. Incroyable, non ? répète encore Jimmy.
    — Mon Dieu, s’exclame Béatrice, vous semblez être calé sur le sujet, Jimmy. Tous ces chiffres nous donnent un peu le vertige.
    — Oui, je comprends, fait Jimmy. En fait, rappelez-vous d’une chose : c’est que chaque seconde le soleil dégage autant d’énergie que 10 milliards de bombes nucléaires.
    — Impressionnant, remarque Béatrice. Mais dites-moi, ce qui m’intéresserait le plus de savoir, c’est pourquoi le soleil est devenu jaune et non rouge, par exemple ?
    — Eh bien, poursuit Jimmy d’une voix enjouée. Le soleil n’a pas de surface, mais la température entre les couches internes et l’atmosphère est de 5 700 ºK (0 degré Kelvin = - 273,15°C); c’est donc le zéro absolu. Il en résulte que l’agitation moléculaire est stoppée, ce qui lui donne sa couleur jaune. On en conclut que la couleur est en relation directe avec la longueur d’onde, laquelle est liée à la température.
    — On parle ici de température thermodynamique selon le physicien irlandais Lord Kelvin, ajoute Roger. Il a introduit cette unité de mesure pour cette notion thermodynamique !
    — Oui, je le savais, déclare Béatrice. Mais dites-moi, comment peut-on évaluer l’énergie du soleil et d’où vient-elle ?
    — L’énergie dont Jimmy vient de parler comme pile thermonucléaire vient du centre, répond Roger, pendant que Jimmy boit une gorgée de jus d’orange. La pression comprime les noyaux d’hydrogène et permet ainsi la fusion. Le transfert de cette énergie s’effectue par rayonnement et par convection. La zone de convection est limitée par la photosphère, épaisse de 200 km, et appelée ainsi, car presque la totalité du rayonnement visible vient d’elle. Il s’agit d’une apparence un peu granuleuse. La taille d’une granule peut dépasser celle de la France pour une durée de vie de 10 minutes à 10 heures.
    — Et cette pression empêche les photons d’atteindre la surface dès leur création, repart Jimmy de plus belle. Ils peuvent mettre 2 millions d’années pour sortir des profondeurs du soleil, tandis qu’il leur faut 8 minutes pour arriver sur Terre. Extraordinaire, n’est-ce-pas, mes amis ?
    — Oui, répond Jean-Pierre ébahi et pensif. J’essaie de m’imaginer tout ce que cela représente.
    — En effet, continue Béatrice, je suis perplexe et je vous admire tous les deux. Votre savoir et vos connaissances parfaites du Français !
    Les deux hommes répondent par un grand sourire amical et par le fait que leur passion de la langue française et de l’astronomie les ont amenés à s’instruire et à explorer de nouvelles voies pour satisfaire leurs besoins insatiables dans le domaine de la science.
    — Oui, mes amis, continue Jimmy, dans toute cette énergie nous avons beaucoup d’atomes, dont une particule insaisissable, créée au centre du soleil, et nommée le neutrino. Il y règnent des températures de plus de 15 millions de degrés au centre. Chaque seconde, 65 milliards de neutrinos bombardent chaque cm² de notre Terre. Pour 1 proton, il y a 10 milliards de neutrinos. Les scientifiques recherchent le neutrino afin de déterminer le fonctionnement interne du soleil et de vérifier certaines théories de physique élémentaire par la même occasion.
    — Passionnant, s’exclame Jean-Pierre ! Et surtout, il est assez curieux de considérer que tout le monde connaît et admire ce soleil, mais qui est en fait peu connu de nous, sauf pour les scientifiques ou les gens comme vous, Jimmy et Roger !
    — C’est exact, répond Roger, avec son accent britannique délicieux qui ravit Béatrice. Jimmy et moi, nous avons eu la chance d’avoir étudié dans différents pays et de nous être rencontrés afin de nous entretenir de nos connaissances et de notre métier. Nous adorons aussi les avions et les engins de l’espace.
    Soudain, le téléphone portable de Jean-Pierre sonne. C’est Nadine, qui donne des nouvelles. Elle parle des rhumatismes d’Ernest et de ses souffrances. Si le soleil cogne en Espagne, il n’est pas brillant en France, surtout pas en Picardie, où vit le couple français.
    En écoutant la conversation, Roger et Jimmy sourient. Ils ont de la peine pour Ernest. Jean-Pierre et Béatrice leur racontent comment ils ont sauvé leurs animaux domestiques de destins incertains et surtout sauvé Ernest de la mort aux abattoirs.
    Roger admire le couple pour cette belle action. Il ne se voit pas manger de la viande de cheval et encore moins Jimmy. Parfois, ils trouvent les Français un peu dingues !
    Il fait maintenant très chaud et les jeunes Français désirent retourner à leur finca pour s’allonger un peu sur leur terrasse. Roger et Jimmy, souhaiteraient revoir le couple pour dîner ensemble et peut-être pour aborder un autre sujet tel que le vent solaire. Ils doivent faire quelques emplettes et acheter quelques souvenirs pour leurs épouses françaises.
    Arrivé à la finca, le couple mange une petite salade et s’étend sur une chaise longue près de la piscine. Béatrice a choisi une place ombragée et ne peut pas s’empêcher de penser aux mots de Jimmy sur le soleil. À partir d’aujourd’hui, celui-ci aura un nouveau nom. Il s’appellera désormais JIMMY. Béatrice pense que l’Américain serait honoré de cette pensée chaleureuse.
    Et puis, fatigués par la chaleur persistance, les jeunes gens finissent par dormir un peu sur leur terrasse. Deux heures plus tard, le couple réveillé, se prélasse dans leur piscine. L’eau fraîche leur procure une sensation de bien-être. Mais malgré tout, Béatrice ne se sent pas très bien. Elle a quelques nausées et des maux de tête.
    Jean-Pierre et Béatrice décident de rester à la maison ce soir, car Béatrice n’a pas la force de manger. Elle ne souhaite qu’une chose : boire et rester au calme dans un endroit frais. Jean-Pierre compose le numéro de Jimmy pour s’excuser : ils ne pourront pas dîner ensemble… Ils avaient prévu de se retrouver dans un bar-grill de la région.
    Qu’à cela ne tienne, ils se reverront un jour prochain. Certainement en France ! Ils ont échangé leur adresse et leur numéro de téléphone.

     

     

     

     

     

    Pensées sur les femmes et les hommes

     

     


    À défaut d’avoir revu Roger et Jimmy, ils ont revu Pedro le lendemain.
    Celui-ci, toujours amical et souriant, les salue avec empressement, mais il trouve Béatrice un peu pâle ce matin. Le couple prolonge une conversation dynamique avec le tenancier.
    Deux jours plus tard les voici dans l’avion… retour au bercail. Mais avant de quitter Majorque, ils ont emporté avec eux quelques spécialités locales, comme la crème « sobrasada » que Jean-Pierre adore déguster sur une tranche de pain, et un paquet de « ensaïmada » pour Nadine. De même, ils ont acheté de l’huile d’olive pour la famille entière.
    Et ils ont fait un petit repas d’adieux avec Pedro et Inès : une « paella » a la valencia, plat favori des époux de l’île. Ils ont passé une belle soirée avec leurs amis espagnols et se réjouissent de les revoir l’été prochain.
    Ā l’aéroport Nadine les attend. Elle est venue les chercher comme d’habitude. Le ciel est grisâtre et il fait frais pour un mois de juillet tirant à sa fin. Nadine enfile un chandail, celui fait avec la laine Mohair, dont parlait Joséphine, la chèvre, pour vanter ses mérites le jour du pique-nique avec Ernest.
    Elle a soudain une pensée triste pour Ernest qui souffre lorsque le temps est humide. Le pauvre, ces sacrés rhumatismes lui donnent du fil à retordre.
    Enfin, ils prennent leurs valises et aperçoivent Nadine à la sortie. Celle-ci, toute souriante, vêtue d’un jean, petit pull et baskets, vient à leur rencontre et les embrasse. Les accolades typiques des retours de vacances près de la famille ! Après les premiers mots échangés sur le temps et la santé de chacun, Nadine les ramène à la maison. Il est presque midi. Nadine a préparé un cassoulet.
    — Merci Nadine, s’exclame Béatrice. C’est gentil à toi te t’occuper de nous et des animaux.
    — Oh, cela me fait bien plaisir. Cela fait un peu de repos et cela change des études et du stress de la ville. Et vous deux, comment allez-vous ? Avez-vous passé des vacances d’enfer ?
    — Oui, répond Jean-Pierre avec enthousiasme. Il a fait très chaud. Du soleil tous les jours ! La mer était belle et la nourriture merveilleuse. Comme d’habitude, Pedro nous a bien reçus. Tu sais, Nadine, il nous demande toujours de tes nouvelles. Il faudrait que tu viennes un jour à Alcudia. Tu peux y aller quand tu veux. La finca reste à notre disposition.
    Ils viennent de franchir le portail de leur demeure. Jasper est le premier à venir les saluer. Il aboie, il est fou de joie. Il saute sur Jean-Pierre, pose ses pattes sur sa chemise blanche et le lèche. Puis, c’est au tour de Béatrice qui le caresse et lui parle d’une voix tendre. Félix, qui vient de terminer une petite toilette, s’approche de sa maîtresse en miaulant d’un air joyeux. Jean-Pierre lui dit qu’ils ont bien pensé à lui à Alcudia et que même Pedro se souvient toujours de lui.
    — Allez, rentrons, dit Nadine. Il fait frisquet. Allons manger le cassoulet. En entrée, crudités, ensuite cassoulet, puis plateau de fromage et en dessert crème caramel.
    — Merci, ma belle, fait Jean-Pierre en embrassant sa nièce sur la joue. Sans toi, que ferions-nous, hein ?
    Ils déposent leurs valises près de la porte d’entrée et se dirigent vers Jacquot qui est en train de boire dans sa cage. Ils se mettent à lui parler un peu avant de se mettre à table. Le repas a été très bon et le couple reprend des forces. Quelle joie d’être de nouveau parmi les siens ! Avant d’ouvrir les valises, Jean-Pierre et Béatrice se rendent à l’écurie et saluent Ernest. Celui-ci a l’air de souffrir, mais est ravi de la présence de ses maîtres… Il se sent moins seul maintenant qu’ils sont de retour !
    Nadine a récupéré ses affaires avec les biscuits de Majorque, quelques bouteilles d’huile d’olive… et bien sûr quelques jolies perles de Majorque : collier, bracelet et boucles d’oreilles !
    Le reste de la journée passe vite. Nadine est repartie chez elle, Béatrice s’est occupée d’Ernest et de l’écurie pendant que Jean-Pierre, de son côté, a pris soin de cuisiner un peu pour Félix et Jasper : un peu de poulet, quelques croquettes et des légumes verts. Ils adorent ça !
    Il est presque minuit ! Bien au chaud dans leur couette moelleuse, ils écoutent un peu de jazz : John Coltrane et Benny Goodman. Félix et Jasper sont sagement couchés près de la cheminée et non loin de Jacquot qui, de son bec, casse quelques graines.
    Quelques jours passent et Béatrice, sujette à des nausées de plus en plus fréquentes, décide de consulter son médecin, car elle s’inquiète un peu sur les causes de ses petits vomissements. S’agirait-il d’ une éventuelle grossesse ? Une maternité qu’elle a planifiée depuis plus de 2 ans ! Jean-Pierre est tout aussi excité qu’elle. Un bébé serait le fruit de leurs amours et une seconde réussite après leur carrière dans la fonction publique française !
    Béatrice a bien fait un test de grossesse après avoir acheté le kit en pharmacie et Blue Clear a affirmé qu’elle était enceinte. Elle a fait ce test juste avant de quitter Alcudia, mais n’en n’a pas parlé à Jean-Pierre. À quoi bon en parler ? Elle n’est pas du genre à vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Et puis une erreur peut arriver…
    Rien ne vaut la consultation du médecin gynécologue, une femme de Buenos Aires, qui est intelligente et chaleureuse. Cette femme sait mettre ses patientes à l’aise, et même les jeunes filles timides et apeurées, savent qu’elles peuvent lui parler de femme à femme en toute confiance.
    La gynécologue confirme la grossesse de Béatrice et la félicite. Le jeune couple est aux anges. Sans perdre de temps, Jean-Pierre annonce l’heureux événement à toute la famille. Les animaux ont remarqué la bonne humeur du couple. Il se dégage une atmosphère de bien-être au foyer. Une humeur frôlant le délire. Oui, on croirait que le couple a atteint les portes du paradis. Les jeunes gens s’embrassent souvent en chantant et en racontant des blagues. Ils commencent même à faire des projets concrets concernant l’organisation de leur maison. Oui, ils doivent trouver une chambre pour le bébé. Au fait, quel sera son prénom ? Garçon ou fille ? Arnaud ou Amandine ? On ne sait pas encore le sexe de l’enfant ! Peu importe, l’essentiel est un bébé bien portant…
    Pour fêter la bonne nouvelle, les jeunes gens souhaitent organiser un barbecue pour un dimanche. Leurs parents seront présents. Nadine aussi. Et puis, ce sera l’occasion de se retrouver ensemble avant la rentrée scolaire. Quant aux sœurs et frères du couple, ils viendront le mois prochain, car la place manquerait pour recevoir tout le monde. Certains sont en vacances d’ailleurs !
    Une semaine passe. Les préparatifs sont terminés : voilà que tout est prêt pour le fameux barbecue. Heureusement, il fait très beau en cette fin du mois d’août. La table, les chaises ainsi que le grand parasol trônent au milieu du jardin. Le barbecue aussi. De temps en temps, Félix et Jasper tournent autour de la table, attirés par la viande et les premières odeurs alléchantes dégagées par la cuisson des aliments.
    On sonne à la porte. Ce sont les parents de Béatrice qui arrivent les premiers. Il s’agit d’un couple charmant, éduqué et au caractère agréable : Jean est médecin et Janine est responsable du département des achats dans une PME. Après les accolades habituelles, ils caressent les animaux qui leur font la fête. Jasper et Félix sont ravis. L’amour des animaux les réunit tous. Béatrice a sans doute hérité de cet amour qu’elle continue de partager à droite à gauche en s’occupant d’organisations animales. Ses parents ont eux même un chat, un berger allemand et deux chevaux chez uns, une belle résidence, avec terrasse, jardin et écurie. Les parents de Béatrice ont les moyens d’embaucher du personnel pour s’occuper des chevaux dans l’écurie adjacente à leur demeure, ainsi qu’une femme de ménage qui est la perle rare, car elle cuisine aussi.
    Ernest, aussi, apprécie beaucoup Janine, Jean, de même que Nadine, qui vient d’arriver en petit débardeur avec son jean délavé. Ernest les regarde derrière la porte d’entrée de l’écurie. Il aime ces retrouvailles…
    Jean-Pierre commence à déboucher les premières bouteilles pour l’apéritif, lorsqu’il entend une voiture freiner tout près de sa maison. Ses parents sûrement !
    — Laisse moi faire, dit Nadine à son oncle, en prenant le relais.
    — Bonjour Jean-Pierre ! s’exclame sa mère ravie et attendrie par la bonne mine de son fils. Comment vas-tu ? Et Béa ? Nadine ?
    — Béa va bien. Nadine aussi. Elle est en train de servir l’apéro. Viens, allons nous asseoir. Jean, Janine et Nadine sont là aussi.
    — Bonjour mon grand, dit à son tour le père de Jean-Pierre pour le saluer en l’embrassant.
    — Bonjour Pierrette et Jacques! Belle journée, n’est-ce-pas ? s’exclame Janine après avoir embrassé les parents de Jean-Pierre.
    Nadine les rejoint et embrasse ses grands-parents. Ils trinquent à la santé de la jeune femme et celle du futur bébé. Les premières gouttes d’alcool et les rayons du soleil mettent la famille à l’aise. Jean et Jacques plaisantent en évoquant quelques souvenirs cocasses concernant leurs patients et leurs élèves. Jacques est enseignant comme son fils. Un instituteur. Entre elles, les femmes parlent de leur vie quotidienne…
    — Alors Béa, comment se sont passées tes vacances ? demande sa mère après avoir dégusté une petite gorgée de porto.
    — Nos vacances étaient géniales maman, répond Béatrice. Tu sais, chaque année, c’est la même chose à Majorque. Nous avons profité du soleil et avons récupéré du stress. Notre finca nous procure des moments de détente agréable avec sa piscine et la vue magnifique sur les citronniers. Nous avons fait quelques excursions, cette fois-ci, nous sommes allés jusqu’au cap Formentor. Et rencontré des gens de toutes les nationalités imaginables.
    — Et Pedro et Inès ? demande Pierrette. Jean-Pierre me dit que Pedro travaille toujours à la bodega. Qu’il travaille toujours sans relâche et avec le sourire !
    — Oui, intervient Jean-Pierre. Pedro est toujours à Alcudia. De temps en temps, il passe quelques vacances à Ronda, sa terre natale.
    — Ronda ? Chérie, n’est-ce-pas la ville dans les montagnes où se trouve l’une des plus fameuses arènes de l’Andalousie ? demande Jacques à sa femme.
    — Oui, répond Pierrette. Tu as raison. Il y a au moins dix ans que nous sommes allés en Andalousie. Nous y sommes retournés depuis et avons visité Jerez de la Frontera. Cette année, nous avons préféré nous reposer en Dordogne. Dix jours de repos avec une nature superbe. Nous avons été hébergés chez un couple londonien, qui tient une petite auberge sympathique et qui aime la Dordogne.
    Pendant ce temps Nadine fait le service. Apéritif, eau, jus de fruits et les crudités en entrée. Jean-Pierre laisse les hommes blaguer entre eux et les femmes parler de leurs vacances respectives. Il est chargé de surveiller les grillades : merguez, saucisses, quelques entrecôtes aussi. Béatrice, elle, revient de la maison avec un grand saladier dans la main : une laitue assaisonnée avec petits oignons rouges. Elle a prévu un plateau de fromages et un vacherin en dessert.
    Les convives se régalent. La viande grillée a bon goût. Jasper récupère quelques bouts de saucisses tandis que Félix, un peu fatigué par toutes ces voix, s’est éloigné pour se coucher sur le palier. De temps en temps, on entend Jacquot qui prononce les mots « Alcudia » et « soleil » à plusieurs reprises. Il est calme…
    Soudain, la conversation reprend pour aborder l’heureux évènement. Janine s’adresse à sa fille.
    — Dis moi, chérie, quand vas-tu emménager la pièce du fond pour le bébé ?
    — On pense le faire pendant les prochaines vacances de la Toussaint ! Il va falloir faire quelques travaux. Après on verra. Pour les derniers achats, il faudra attendre pour connaître le sexe de l’enfant, répond Béatrice.
    — Oui, nous avons encore du temps, n’est-ce-pas, chérie ? demande Jean-Pierre en posant délicatement un baiser sur le front de sa femme.
    — As-tu un prénom ? Comment vas-tu l’appeler ? demande Jacques.
    — Eh bien Papa, on a pensé à Arnaud pour un garçon et Amandine pour une fille, répond son fils en souriant. On verra bien, ce n’est pas très important.
    — Ah oui, de toute manière on se moque du sexe de l’enfant. Du moment qu’il sera en bonne santé, c’est tout ce que nous souhaitons. Garçon ou fille, homme ou femme, on s’en fout… renchérit Béatrice.
    — Pourtant les différences sont grandes entre femmes et hommes ! fait Jean.
    — Ah oui, les hommes gagnent toujours plus que les femmes. Entre entre 20 et 25 pour 100 ! ricane Nadine, moqueuse.
    — Non, répond Jean d’un air sérieux. Je parle des différences entre les hommes et les femmes sur le plan cérébral.
    — Et alors ? fait Pierrette.
    — C’est vrai. Jean a raison, renchérit Jean-Pierre. Je vois bien que Béatrice agit et voit parfois les choses d’une autre façon que moi.
    — Bien sûr les enfants, s’exclame Jean ! Les recherches des neurosciences font état des différences entre le cerveau de la femme et celui de l’homme. Des études montrent que le cerveau humain s’est développé en fonction de l’environnement culturel. Ces chercheurs expliquent que les nombreuses différences biologiques fondamentales entre les hommes et les femmes sont le résultat d’une longue évolution de plus d’un million d’année. Cette évolution aurait modelé nos cerveaux à travers l’action conjuguée des hormones et des neurotransmetteurs.
    — Soit, réplique sa femme. Et alors, toutes ces différences dont tu nous parles, chéri, quelles sont-elles concrètement parlant ?
    — Eh bien, en fait, poursuit Jean, tu vois, je te parle, mais mes paroles ne seront pas perçues de la même manière selon le sexe de l’individu.
    — Ah bon ? Comment cela ?
    — Eh bien, au moment où je parle, tu m’entends, toi et les autres femmes, avec les deux hémisphères du cerveau, tandis que les hommes m’entendent essentiellement avec l’hémisphère gauche, logique et critique… Les femmes, elles, mobilisent, en même temps, leur hémisphère droit, ce qui rend mon discours à leurs oreilles plus coloré d’émotions. Elles entendent ce que je dis, mais surtout comment je le dis. Elles sont en fait plus sensibles aux inflexions de ma voix, au rythme de ma respiration, dirais-je même.
    — On dit que les femmes ne savent pas lire une carte correctement ou encore s’orienter. Qu’elles sont plutôt nulles en mathématiques, mais plutôt bonnes en langues. Quelle est la part du vrai et du faux ? demande Jacques à son tour.
    — J’y viens, rétorque Jean. Des études ont montré que les filles, dès l’âge de 9 ans, présentent, en moyenne, 18 mois d’avance verbale sur les garçons. À l’âge adulte, les femmes téléphonent en moyenne, 20 min par appel… contre 6 min pour les hommes. La femme a besoin de partager ses idées, ses sentiments, ses émotions, tandis que l’homme contrôle et retient les siens : il transmet des informations et cherche des solutions… et la femme ne se sent pas « écoutée » !
    — En résumé, la femme est moins émotive, mais elle s’exprime davantage alors que l’homme est, en réalité plus émotif, mais il n’exprime pas ses émotions. Le cerveau gauche est plus développé chez les femmes.
    — C’est vrai, intervient sa femme. Même toi, chéri, tu ne m’écoutes pas et pourtant, tu es médecin !
    — Eh bien, oui ! continue Jean. Les garçons sont bels et bien meilleurs en mathématiques. Ils possèdent aussi une logique spatiale pour un meilleur sens de l’orientation en fonction du cerveau droit, plus développé chez eux. Les hommes sont orientés dans l’espace tandis que les femmes sont orientées dans le temps. Je veux dire qu’elles se « repèrent » d’après des objets et des signes concrets tandis que nous les hommes, nous pouvons nous orienter dans une direction abstraite. Nous pouvons « couper » par un raccourci en forêt par exemple pour retrouver la voiture.
    — Tu as raison Papa, réplique Béatrice. Pour le sens de l’orientation, je l’avais bien remarqué ! Mais il y a aussi d’autres différences dans les organes des sens, vrai ou faux ?
    — Oui, fait son père. D’une règle générale, les femmes sont plus sensibles et son ouïe est plus développée d’où l’importance des mots doux, du timbre de la voix et de la musique. Les femmes possèdent jusqu’à 10 fois plus de récepteurs cutanés pour le contact; l’ocytocine et la prolactine (hormones de l’attachement et des câlins) multiplient leur besoin de toucher et d’être touchées. Son olfaction est plus fine: jusqu’à 100 fois, à certaines périodes du cycle. De plus, son OVN (organe voméro-nasal, véritable sixième sens chimique et relationnel) perçoit les phéromones qui traduisent plusieurs formes d’émotions : désir sexuel, colère, crainte, tristesse…Il serait aussi plus sensible chez les femmes. Serait-ce là une forme de l’intuition ?
    — Et nous les hommes, intervient Jacques, où sommes nous supérieurs ? À part les mathématiques et le sens de l’orientation ?
    — Notre vue est davantage développée - et n’en déplaise aux femmes - plus érotisée d’où notre intérêt et notre excitation par les vêtements, le maquillage, les bijoux, l’érotisation du nu, voire une certaine attirance pour les revues pornos… fait remarquer Jean.
    — Bon Dieu, s’exclame Béatrice, amusée. Alors non, je ne veux pas de fils. Je veux une fille… Comme ça, pas de magazines pornographiques qui traîneront à droite à gauche dans la maison !
    Tout le monde se met à rire tout en mangeant le dessert. Cette meringue glacée accompagnée d’un dernier verre de vin blanc est agréable pour accompagner cette conversation entre le médecin et les membres de sa famille.
    Puis le père de Béatrice reprend le court de sa pensée :
    — Les hormones jouent naturellement un rôle essentiel. Les œstrogènes ne sont pas les testostérones des mâles qui ont plutôt le goût de la conquête, de l’aventure tandis que les femmes rechercheront essentiellement la sécurité. D’une règle générale, on comprend pourquoi les femmes sont attirées par un mâle dominant, fort et expérimenté, socialement reconnu, moins jeune, mais susceptible de la protéger. Les hommes, eux, ont un attrait pour les femmes jeunes, qui cherchent la sécurité, mais qui sont susceptibles d’engendrer.
    — Dis-donc Papa, comment expliques-tu ces différences ? Quelles en sont les causes ?
    — Je dirais que le comportement extérieur de l’être et du vécu intérieur des hommes et des femmes est largement conditionné par des dispositions préexistantes de nature biologique, sur lesquelles viennent se greffer des influences éducatives et culturelles, répond Jean. Un tiers viendrait de l’hérédité, un autre tiers serait congénital.
    — Congénital ? Que veux-tu dire, chéri ? demande Janine en reprenant une part de vacherin avec du coulis à la framboise.
    — Eh bien, il s’agit d’un acquis pendant les premières semaines de la vie intra-utérine. L’embryon est féminin pendant les premiers jours et la masculinité est une lente conquête hormonale et éducative. Ainsi, la fille n’est pas un garçon qui a perdu son pénis, comme le supposait Freud, mais le garçon est un fait une fille qui a gagné un pénis. Logique, non ?
    — Bien sûr, répond Béatrice, ravie de la réponse de son père. Encore une raison de plus pour avoir une fille, ajoute t-elle en plaisantant. Et le dernier tiers ? Ne s’agirait-il pas de la culture ?
    — Oui, tout simplement, fait son père. Le bain culturel au fils du temps ; les entraînements ou les circonstances psychologiques jouent un rôle considérable aussi dans l’épigenèse du cerveau humain.
    — Mais alors, certains homosexuels, transsexuels de toutes catégories ne sont pas forcément d’accord avec ces études ? intervient Jean-Pierre.
    — C’est vrai Jean-Pierre, tu vois juste. Certains chercheurs se sont penchés sur ces questions, car ils pensent que ces deux genres sont simplistes. En France, une sociologue connue et maître de conférence est une fervente du mouvement « queer » né aux États-Unis., pendant qu’une philosophe américaine partage les mêmes opinions. La théorie « queer », poursuit Jean, est une théorie sociologique qui critique principalement l’idée que le genre et l’orientation sexuels seraient déterminés génétiquement. Certains sociologues et philosophes soutiennent l’idée que la sexualité mais aussi le genre social – masculin ou féminin – d’un individu n’est pas déterminé exclusivement pas son sexe biologique, mais principalement par son environnement socio-culturel et son histoire de vie. À dire vrai, je pense qu’ils n’ont pas tout à fait tort…
    Jean s’arrête subitement de parler pour prendre une gorgée de vin. Il a tellement parlé qu’il n’a pas vraiment apprécié le vacherin. Les autres en ont repris et Jasper a léché le fond du récipient.
    Soudain, le portable de Jean-Pierre sonne. C’est Roger qui prend des nouvelles du couple …
    — Jean-Pierre parle 5 langues et c’est un homme, alors on ne peut vraiment pas généraliser, fait son père d’un air critique en écoutant son fils parler la langue de Shakespeare sans le moindre effort d’élocution.
    — Roger et Jimmy te saluent, dit Jean-Pierre à sa femme après avoir remis son portable sur la table. Ils vont bien, ils ont repris leur travail. Et ils nous félicitent pour le bébé…
    — Sacrés Roger et Jimmy ! sourit Béatrice en expliquant aux parents respectifs leur amitié naissante.
    Elle ajoute en souriant qu’elle a un nouveau nom pour le soleil. Dorénavant, le soleil se nomme « JIMMY ». À chaque occasion, elle ne peut s’empêcher de repenser à lui, lorsqu’elle admire sa belle couleur jaune et sent les rayons chauffer les parties de son corps. Elle repense aux chiffres cités par Jimmy concernant le soleil !
    Décidément, son père a raison ! Les maths et les hommes, ça fait la paire !
    Les heures ont passé vite en compagnie de Nadine et des parents du couple. Ils ont passé un bon moment ensemble. Nadine a fait des photos.
    Jean, Janine, Jacques, Pierrette et Nadine quittent les lieux en remerciant le couple… Jasper les salue en remuant la queue, il pense qu’il aimerait bien faire une petite promenade.
    Béatrice s’occupe du rangement dans la cuisine. La vaisselle est terminée. Jean-Pierre nettoie le barbecue et le range soigneusement dans le garage.
    Il commence à faire sombre et JIMMY a disparu. Peut-être va t-il pleuvoir ?
    Béatrice a été ravie de ce dimanche…

     

     

     

     

    Pensées sur la vie et la mort

     

     

    Arnaud se lève ! Il a fini ses devoirs…
    Il est satisfait de sa journée. La rentrée des classes s’est bien passée et il s’est bien adapté au nouveau rythme du collège. Arnaud vient de rentrer en 5ème !
    C’est un garçon éveillé qui a l’intelligence et la curiosité de ses parents. Il aime l’école, même s’il n’apprend pas assez à son goût. De ce fait, il lit beaucoup et voyage souvent à l’étranger avec ses parents.
    Il se souvient que l’été dernier il a passé un mois merveilleux à Alcudia où il s’est perfectionné en espagnol, sa quatrième langue. Comme son père, il a le don pour les langues, mais il est tout aussi doué pour les mathématiques. Il se passionne aussi pour les sciences physiques, l’astronomie et l’astrophysique.
    Deux ans auparavant il a fait la connaissance de Jimmy et de Roger, amis toujours inséparables, lors d’un petit week-end à Londres. Roger visitait une tante dans la capitale anglaise et avait invité Jimmy et le couple français par la même occasion. Arnaud ne peut oublier les deux hommes, leur esprit ouvert sur le monde et les sciences ainsi que les conversations des adultes.
    Cette rencontre dans la capitale britannique a été inoubliable. Avec curiosité il a écouté tout ce que Roger et Jimmy avait à dire sur les astres, les planètes autour de nous et très éloignées de nous. Il est dorénavant passionné par la Terre, ses étoiles et l’Univers entier. Son rêve est de devenir astrophysicien tout comme Stephen Hawking.
    Mais, du haut de ses onze ans, il sait qu’il a encore du chemin à faire. Il sait aussi que rien n ’est joué d’avance. La vie et la mort sont des sujets tout aussi fascinants que l’Univers ; souvent revient la sempiternelle question : qui sommes nous et que faisons nous sur Terre ? Pourquoi vivons-nous et mourons-nous ? Quelle est notre raison d’être ?
    La mort de Jasper et d’Ernest ont été perçues comme une fin inéluctable du cycle de la vie, mais aussi comme un événement douloureux pour le cœur et pour son âme sensible.
    Après ses devoirs il file au fond du jardin pour se recueillir sur la petite tombe de Jasper. Le chien de chasse est enterré depuis 4 ans dans un endroit discret du jardin. Jean-Pierre tenait à ce que son chien soit près des siens…
    Quant à Ernest, ses rhumatismes étaient atroces ! Il ne pouvait plus bouger. Il souffrait beaucoup trop et on a dû l’euthanasier après bien des délibérations dans la maison. Cette mort a eu lieu la même année que celle de Jasper, qui lui, est mort écrasé sur la route. Une mort toute bête… Imprévisible !
    À cause de ces premières expériences vécues sur la mort, Arnaud a fini par se poser beaucoup de questions sur la vie. Il s’est rendu compte que la vie est fragile et éphémère.
    Arnaud vient de parler au chien enterré. Il lui a dit qu’il l’aimait et qu’il l’aimerait toute sa vie… Il ne sait pas si l’esprit du chien peut capter ce message important, mais on ne sait jamais. Au cas où ?
    Parfois, Félix le suit jusqu’à la petite butte de terre sous laquelle repose Jasper. Le chat noir dont les yeux verts le regardent d’un air mystérieux fascine l’enfant. Les chats sont des créatures sublimes, pense Arnaud, qui apprécie le caractère indépendant propre à la race féline.
    Il adore Jacquot aussi. Le perroquet a appris beaucoup de mots en langue étrangère que Arnaud s’est appliqué à lui inculquer…Il a été surpris du résultat. Arnaud passe beaucoup de temps avec Jacquot après ses devoirs. Parfois Béatrice pense qu’Arnaud se sent mieux avec le perroquet qu’avec ses petits camarades de classe.
    Arnaud est heureux : des gentils parents intelligents, un mode de vie agréable, une belle maison et des animaux, des résultats scolaires fort honorables, des grand-parents adorables et généreux ainsi que des oncles et tantes chaleureuses….
    Mais il n’ a pas de petite sœur ! Pourquoi ? La vie a aussi ses caprices, pense t-il à court de réponses.
    Souvent l’enfant discute à table avec ses parents. Il ne parle pas de l’école et des petits camarades bruyants et énervants, mais il pose des questions pour satisfaire sa curiosité insatiable sur le cours de l’existence. Il souhaiterait avoir des réponses concrètes sur Dieu, sur ce qui a créé tout l’Univers… mais aussi avoir une ligne de conduite, adopter une certaine philosophie de vie.
    Un soir, alors qu’il revenait de la tombe du chien Jasper avec une larme au coin de l’œil, son père Jean-Pierre lui a parlé de Montaigne ; il a encore en tête cette phrase : « philosopher, c’est apprendre à mourir » ! Et puis d’autres phrases… La préméditation de la mort est préméditation de la liberté, a essayé de lui expliquer son père. Un apprentissage à mettre en place pour se préparer à la mort et se libérer de l’angoisse que suscite la mort comme événement inexorable, brutal et imprévisible…
    Son père lui cite souvent Michel de Montaigne pour répondre, ou du moins pour tenter de répondre, à ses questions pertinentes…
    Pour résumer l’essentiel de Montaigne en quelques mots simples, surtout pour un enfant, Jean-Pierre lui a tenu ces propos la semaine dernière :
    — Arnaud, l’homme que nous sommes sur Terre ne peut accéder si facilement au savoir universel. Le monde change tout le temps. Chaque chose est différente des autres. Notre raison est faible et ne peut pas nous permettre d’atteindre la vérité. Il est sage de douter et de se poser des questions. Mais le droit chemin est de suivre la nature, chose devenue, hélas, plus difficile à cause de notre culture et parfois de notre raison, ce qui nous fait perdre notre instinct naturel. Il faut suivre la nature du mieux que tu peux, mais surtout utiliser ton intelligence, c’est-à-dire ta sagesse ainsi que ton jugement, car il vaut mieux une tête bien faite que bien pleine… Tu apprendras que l’humilité est primordiale, car elle est l’aboutissement de notre conscience concernant la limite de notre savoir. Bref, mon fils, sois modeste, mais ne te méprise pas pour autant. Sois conscient de ta propre valeur, de tes faiblesses mais aussi, ou surtout dirais-je, de ton ignorance pour trouver le juste milieu dans ta conduite afin d’adopter une ligne de philosophie adéquate.
    Béatrice a trouvé ces mots assez juste pour orienter leur fils sur une première voie ; au fil du temps Arnaud fera ses expériences et aura lu Montaigne… peut être Descartes et tous les rationalistes qui sauront aussi satisfaire son besoin de savoir et éclairer sa lanterne. Et bien d’autres aussi !
    Un appel de Nadine a interrompu la conversation. Nadine voulait simplement inviter Arnaud en Espagne pendant les prochaines vacances. Nadine enseigne l’espagnol à Biarritz et est mariée à un homme catalan de Tarragone. Cet homme est artiste peintre et réussit à vivre de ses peintures.
    — Génial ! a dit Arnaud. Je vais pouvoir voir Miguel peindre. Il a même dit qu’il aimerait faire mon portrait. Le vendre à las Ramblas à Barcelone !
    — Oui, mon chéri, c’est merveilleux, ton père et moi, sommes fiers de toi. Nous sommes heureux avec toi. Tu es notre raison de vivre, tu sais ! Moi, je dirais simplement que l’AMOUR est, et devrait être, la raison de vivre de tout être !



    FIN

     

     

     

     

     

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    Chapitre 1 : Neige de Feu

     



    Dans le pays des dragons se trouve un dragonnet malheureux. Il est petit, vraiment petit, blanc aux yeux jaunes, et ne sait pas cracher du feu.
    — Aller Neige de feu, fait encore un petit effort. Inspire profondément, bloque l’air dans tes petits poumons, pense aux flammes que tu vas donner et crache ! lui conseille fermement sa mère.
    — Mais maman, c’est ce que je fais depuis le coucher du soleil, j’essaie, j’essaie, je ne fais que ça, mais je n’y arrive pas ! pleurniche le dragonnet.
    « Et puis quelle idée de m’avoir appelé Neige ! Comme si ce nom allait me donner de la force et du caractère ! Neige ! Pourquoi ne m’ont-ils pas appelé Petit Flocon tant qu’ils étaient dans des noms ridicules ? » pense-t-il.
    Ses parents ne savent plus quoi faire avec lui. Sa mère finit par le laisser rentrer dans sa grotte. Elle regarde les minuscules ailes sur le dos de son fils et soupire.
    — Courage ma reptile d’amour, l’année prochaine, l’œuf sera meilleur. Je suis sûr que notre second enfant sera grand, beau, et un cracheur de feu exceptionnel ! l’encourage Dragon Impérial, son compagnon.
    Mais maman dragon n’y croit pas. Voilà des semaines qu’elle désespère de voir son fils grandir, même ses ailes de chauve-souris n’ont pas pris un centimètre. Quant à sa peau, elle sait qu’avec des écailles de pareilles couleurs, jamais il ne pourra sortir en plein soleil.
    Fin de nuit, Neige de feu fait un cauchemar. Il se réveille peu avant l’aube. Il sort de sa grotte et observe le ciel chargé de nuages.
    — Avec un peu de chances, la saison des pluies va commencer et je vais enfin pouvoir sortir sans risquer une insolation, dit-il tout bas pour ne pas réveiller ses parents.
    Effectivement, le soleil peine à percer les nuages pour annoncer le lever du jour. Neige de feu profite de ce temps maussade pour aller au village chercher des petits pains de pierre pour le petit déjeuner. Peut-être qu’avec cette surprise, son papa lui donnera enfin un sourire.
    Hélas, il n’est pas encore arrivé au village qu’il croise la route de Vert Bouteille. Vert Bouteille est aussi un dragonnet, à peine plus âgé que lui. Sauf que lui, il est trois fois plus grand, a des écailles vert crocodile et qu’il sait cracher du feu depuis longtemps. Même la technique du vol, il la maîtrise.
    Neige de feu est heureux de rencontrer un autre enfant. Il s’avance vers lui un grand sourire aux lèvres.
    — Salut, je m’appelle...
    Il n’a pas le temps de se présenter qu’un jet jaune et rouge lui roussit le bout du museau !
    — Ouuuais ! J’ai réussi du premier coup et sans trop te brûler. Ah ! maman serait fière de voir que je sais enfin cracher les flammes d’avertissement, dit fièrement Vert Bouteille.
    — Oh tu sais déjà faire tout ça, lui répond tristement Neige de feu. Tu en as de la chance. Moi, je suis petit, blanc et je ne sais pas encore crach…
    Shhhhh
    Vert Bouteille remet ça. Il s’amuse à faire peur à ce petit dragon tout blanc. Il dose sa force et crache ses flammes d’avertissement les unes sur les autres.
    Neige de feu volette maladroitement, finalement, il ne veut plus faire la connaissance de ce dragonnet-là. Et son vol un peu gauche lui vaut un éclat de rire de la part de deux autres dragonnets.
    Plus il avance dans le village, plus on se moque de lui, on le prend pour un fantôme, on lui jette des bouteilles de peinturagon et on lui crie d’aller voir ailleurs s’il n’existe pas un pays pour dragonnetus, un pays pour les dragons minus.
    Neige de feu est triste, il pleure, il vole, il court. Chemin faisant, il s’éloigne du village et dépasse même sa caverne. Il laisse derrière lui ses parents et s’en va en s’imaginant qu’il ne manquerait à personne.

     

     

    Chapitre 2 : Violette et la fée

     


    Le temps s'écoule inexorablement. Alors que le dragonnet continue péniblement sa route, les nuages se dissipent. Tout à coup, un rayon de soleil déchire l’obscurité et stoppe net la progression de Neige de feu. Du regard, le petit dragon cherche un abri. Il doit à tout prix se protéger, il ne veut pas en plus avoir à affronter une douleur physique.
    Il n’a plus de force. Les moqueries et les méchancetés qu’il a essuyées à l’occasion de sa toute première sortie en plein jour l’ont complètement vidé de ses maigres forces. Malheureusement, il ne trouve qu’une vieille pierre, taillée comme une délicate fée. Ce travail qui semble être l’œuvre d’un sorcier, intrigue le petit dragon. Lorsque Neige de feu manipule la pierre pour l’observer sous toutes les coutures, le soleil immerge la vallée et le frappe de plein fouet.
    — Snif, snif, pourquoi faut-il que je sois comme ça ? Sanglote le petit dragon meurtri par l’astre chauffant.
    Timidement, une larme du dragonnet roule sur la pierre de fée, puis une seconde et une troisième aussi. Humidifiée de la sorte, la pierre devient moins solide. Elle semble se craqueler dans la main de Neige de feu. Très vite, une véritable fée émerge dans sa paume.
    — Ne pleure plus petit dragon. Je suis là à présent. Tes larmes blanches de dragon m’ont sauvée de mon triste sort. À présent, je te dois un coup de fée. Ensemble, nous allons pouvoir faire quelque chose pour toi, lui dit-elle de sa voix mélodieuse.
    — C’est vrai ? Vous pouvez me changer en un vrai dragon, un grand, vert et puissant ? lui demande le petit dragon plein d’espoir.
    — Non, je n’ai pas beaucoup de pouvoirs malheureusement. Sinon, je ne me serais pas fait attraper par ce vilain sorcier ! Sais-tu que je suis restée deux années dragonnières entières coincée dans cette pierre ?
    — Oh ! soupire Neige de feu. Alors que peux-tu faire pour moi ?
    La fée s’étire encore puis fait apparaître une bouteille blanche entre les pattes du dragon.
    — Étale cette crème sur tout ton corps, c’est un lait hydratant qui protège des UV. Et mets aussi ça sur ta tête, lui dit-elle en montrant une casquette venue de nulle part.
    Neige de feu obtempère sans discuter, il sent déjà une brûlure sur ses épaules.
    Et aussitôt la crème étalée, les douleurs disparurent comme par enchantement. Il n’a plus mal à la tête et se sent déjà mieux.
    — Merci, merci beaucoup, ça fait du bien, lui dit-il.
    — Mais ceci n’est que trois fois rien. Comprends-tu, ma magie à moi, ce sont les objets. Je peux faire apparaître tout ce que tu veux, mais je ne peux rien faire disparaître. Je ne peux pas donner non plus la vie éternelle, pas plus que des couleurs, des sentiments ou toute autre chose qu’on ne peut pas toucher.
    — Mais moi j’ai besoin d’écailles vertes, j’ai besoin de grandir et j’ai besoin de force pour pouvoir voler et cracher comme il faut. Petite fée, tu ne peux donc rien me donner de tout ça ?
    — Je regrette. Toutefois, je pense que je peux t’aider autrement.
    Neige de feu ne comprend pas le sens de sa dernière phrase. Au moment où il va déposer cette fée par terre, celle-ci s’envole dans les airs. Bizarrement, elle n’a pas retrouvé ses couleurs, elle est toujours aussi pâle que lorsque la pierre l’avait libérée. Sans doute les larmes blanches de Neige de feu ont-elles déteint sur elle ? Toujours est-il qu’elle tient à remercier ce petit dragon. Elle veut lui rendre la vie meilleure. Alors, d’un claquement de doigts, elle fait apparaître une étrange petite machine. L’engin se met à grésiller puis des dizaines de voix fusent des haut-parleurs.
    — Mais, c’est une radio, dit Neige de feu surpris.
    — Oui ! C’est ça, une radio ! dit la petite fée en riant. J’avais oublié son nom, je l’ai rebaptisée « boîte à voix », dit-elle fièrement.
    — Et en quoi est-ce qu’elle pourra m’être utile ? lui demanda alors le dragonnet.
    — Écoute plutôt, lui répond-elle.
    La fée change de fréquence en tournant un petit bouton. Tous deux peuvent alors entendre :
    « Mais où est-il ? Où a-t-il pu voler ? Il est si petit, si faible. »
    — Maman ! C’est la voix de maman. Elle me cherche donc ? dit Neige de feu en prenant la radio dans ses mains.
    — Oui elle te cherche, elle est triste que tu sois parti…
    Attends un peu, écoute ceci à présent.
    La fée tourne encore le bouton.
    « Laissez-moi tranquille, je ne vous ai rien fait ! Mais laissez-moi ! Maman ! Maman ! » Peuvent-ils entendre crier un dragonnet ?
    — Qui c’est ? Qui l’embête ? On ne peut pas laisser faire, dit Neige de feu.
    — C’est Violette, une dragonnette du village plus loin. Tu vois, toi, tu es blanc, elle, elle a le ventre et les ailes mauves. Et comme toi, elle subit les moqueries des autres dragonnets. Vous n’êtes pas les seuls à être différents, vous êtes nombreux, mais vous ne vous connaissez pas encore…
    — Peut-on l’aider ? Je ne sais pas encore comment, mais je ne peux pas la laisser seule, on est un peu pareils elle et moi, on doit pouvoir s’entraider, pense-t-il tout haut.
    Alors que la fée lui explique comment il peut voyager grâce à la radio, Neige de feu ne pense plus à devenir vert, grand et excellent cracheur de feu, mais à aider cette pauvre Violette que l’on maltraite.
    — Tu as bien compris ? Ne te trompe pas de bouton, sinon tu perds la fréquence, lui disait la fée pour la troisième fois.
    — Oui, c’est bon, j’ai compris. Je ne touche à aucun des boutons sauf à celui qui est sur le côté, en dessous de l’antenne, répète-t-il impatient.
    — Oui, c’est ça ! s’extasie la fée.
    Et sitôt dit, sitôt fait. Neige de feu appuie sur le bouton en question et tout à coup, un nuage mauve se forme, l’engloutit puis le fait disparaître.
    De l’autre côté de la radio, dans un village plus loin, Violette se fait jeter dans une rivière par deux dragovoyous. Ses grandes et soyeuses ailes mauves se retrouvent soudainement trempées et chiffonnées.
    Dans un nuage, Neige de feu apparaît pile à côté d’eux. Profitant de l’effet de surprise, il pousse durement les deux dragovoyous dans l’eau et tend sa main à Violette pour l’aider à se remettre debout.
    Les deux dragodolescents ont la peur de leur vie en voyant ce petit dragonnet blanc apparaître comme par magie.
    — Un dragofantôme ! Aaaahhh ! s’envolent-ils dans un cri de terreur.
    — Merci beaucoup, dit Violette à son sauveur. Je pense qu’ils n’oseront plus m’embêter à présent.
    — Je n’ai presque rien fait, répond-il en rougissant jusqu’à ses oreilles pointues.
    À l’instant même où Neige de feu explique sa venue en prononçant le mot « fée », il disparaît à nouveau dans un nuage coloré.
    De retour devant la « boîte à voix », la fée lui explique les conséquences de son geste de bravoure.
    — Grâce à cet engin, tu vas trouver tout ce dont tu as besoin pour devenir un grand et fort dragon. Constate-le par toi-même, regarde-toi dans ce miroir, lui dit-elle en le faisant apparaître.
    — Ouah ! C’est génial ! s’est-il exclamé en voyant son ventre devenu… violet ! mais heu…
    Il n’a pas le temps d’en dire davantage, la fée lui coupe la parole :
    — Oui, bon, on ne peut pas tout avoir, du violet, c’est déjà mieux que du blanc, non ? Et puis, tu n’as pas encore vu tes ailes, tourne-toi un peu.
    Neige de feu laisse sortir un immense cri de joie. Ses ailes ont grandi et sont devenues aussi soyeuses que celles de Violette. C’est en y songeant qu’il angoisse :
    — Violette ! J’espère qu’elle n’a pas attrapé mes écailles blanches et que ses ailes n’ont pas rétréci ?
    — Ne t’inquiète pas, la rassure la fée. Rien n’a bougé de son côté, si ce n’est qu’elle a gagné à te connaître, elle s’est fait un ami.
    Neige de feu se sent plus fort, plus sûr de lui. Il exhibe ses ailes et ne cesse de s’admirer dans le miroir.
    Pour la première fois, il passe une bonne nuit.
     

     

     

    Chapitre 3 : Capucine

     



    Le lendemain, fier d’avoir pu aider quelqu’un, il veut à nouveau écouter la radio. Avec la compagnie de la fée, Neige de feu se sent… pousser des ailes. Il est enthousiaste à l’idée d’avoir d’autres couleurs sur son corps.
    Il tourne le bouton et la machine à voix se met en état de fonctionnement. Il entend rapidement un nouvel appel à l’aide. C’est une autre dragonnette qui a des problèmes avec des dragodolescents de mauvaises fréquentations.
    « À l’aide, ils me démantibulent les jambes ! »
    D’un signe de tête, la fée approuve son geste. Une fumée plus tard, et voilà notre petit dragon blanc et mauve qui apparaît dans un brouillard rouge.
    Une fois encore, Neige de feu garde l’effet de surprise pour lui et attrape la dragonnette en danger par ses bras levés. Les trois dragodolescents qui se disputent le cœur de la belle Capucine n’osent rester accrocher à leur dulcinée. Ils sont tellement impressionnés par la visite de cet étrange dragofantôme à moitié violet qu’ils restent tous trois aussi immobiles que des statues de pierre.
    Du cou de Capucine se dégagea un parfum envoûtant. C’est une fragrance si ensorcelante qu’il fait tourner la tête de son sauveteur. Neige de feu s’envole avec la dragonnette tout en lui racontant comment il a pu entendre son appel à l’aide d’aussi loin. Puis, pour la seconde fois, il disparaît aussi soudainement qu’il est apparu dès qu’il parle de sa bonne fée.
    À son retour, la fée l’attend. Dès qu’elle l’aperçoit, elle a un sourire aux lèvres. Neige de feu n’a pas besoin de miroir pour admirer la superbe teinte rouge à chacune de ses quatre pattes. Ses ailes ne sont pas plus grandes que la veille, mais pour avoir pu voler avec Capucine dans ses bras, il sait qu’elles sont beaucoup plus musclées. Une toise faite de galets plats et lisses lui montre qu’il a pris quelques centimètres. Ce n’est pas beaucoup, mais Neige de feu ne peut retenir sa joie :
    — Ouah ! c’est extraordinaire, et c’est, c’est…
    — Oui, vas-y recommence ton cri de joie, je crois que nous ne sommes pas au bout de nos surprises pour ce sauvetage.
    — Ouah ! Ouah ! Ouah !
    De la fumée sort des naseaux de Neige de feu. Au bout du dixième cri de victoire, une flamme rouge et chaude comme la braise jaillit de sa bouche !
    — Yahou !
    Il ne peut plus se retenir. Le dragonnet vole de bonheur et crache pour le plaisir en faisant des figures dans le ciel.

    Après avoir passé tout l’après-midi à travailler son feu et sa puissance, il se couche complètement ivre de joie.
    — Demain, j’essaierai de cracher les flammes d’avertissement, dit-il à sa fée en fermant déjà les yeux.

     

     

     

    Chapitre 4 : Poussin et le Dragocteur

     

     



    Le troisième jour, il n’attend pas que la petite fée se réveille.
    La radio ne grésille même plus, la voix est nette et suppliante :
    « Mais où suis-je ? Oh pour l’amour des dragons, je crois que je me suis perdue ! » pleure Poussin, une dragonnette au désespoir.
    Une fumée jaune prévient Neige de feu que celle qu’il va aider doit avoir du jaune sur son corps.
    Il arrive dans un bois, à une longueur de flamme de Poussin.
    — Bonjour mademoiselle. Je me présente Neige de feu et je suis là pour vous aider à retrouver votre chemin.
    — Oh ! Vous m’avez fait peur. Mais comment … ?
    — C’est une très longue histoire. Si vous me permettez, je vais tâcher de trouver un petit coin de ciel d’où nous puissions nous envoler, vu de là-haut, cela devrait être plus facile de savoir où nous sommes.
    Poussin est ravie de faire la connaissance de Neige de feu pour deux raisons. La première bien sûr est qu’il va l’aider à pouvoir rentrer chez elle et la seconde est qu’il est le premier dragonnet à ne pas faire de remarque quant à sa taille un peu démesurée pour une jeune dragon comme elle.
    La forêt est dense et Neige de feu ne voit aucun trou vers la cime des arbres qui peu lui permettre de prendre de la hauteur. Il ne perd pas espoir et cherche plutôt à savoir par où est venue Poussin.
    — Je ne sais même plus. Je pense que j’ai du faire trois fois le tour de ce buisson, je retombe toujours sur cet arbre effrayant.
    — C’est vrai qu’il ne manque plus que la parole à cet arbre pour nous faire peur pour de bon. Son tronc est déformé et on pourrait presque lui donner un visage, brrr frissonne Neige de feu.
    Il ne veut pas trop traîner par ici. Il ne connaît pas la forêt et il existe une légende qui parle d’un vieux dragon, cracheur de flammes colériques, et qui…
    — Atchoum !
    — À tes futurs dragonneaux, souhaite Neige de feu.
    — Mais ce n’est pas moi qui ai éternué ! s’étonne Poussin.
    Ils n’ont pas le temps de comprendre qui se cache derrière ce rhume qu’un second « atchoum » résonne dans les bois, rapidement suivi d’un chemin de feu impressionnant.
    — Vite, allons par là si nous ne voulons pas que nos écailles grillent sur place, suggère Neige de feu en encourageant Poussin à courir plus vite.
    Mais comme la dragonnette en a fait l’expérience, ils tournent en rond, sans s’en rendre compte. Ils arrivent ainsi juste derrière celui qui éternue depuis quelques minutes.
    Le dragon vert qui est malade les a vus venir, mais ne peut s’arrêter d’éternuer pour autant.
    — Attention les enfants, a, a, aaatchoum ! Ne restez pas là, je ne contrôle pas mes flammes.
    — Mais vous allez finir par brûler toute la forêt de la sorte, compatit Neige de feu. Vous ne connaissez pas un bon médidragment qui pourrait stopper cette crise d’éternuement aiguë ? lui demanda-t-il.
    — Ah si seulement. Figurez-vous que je suis dragocteur, j’ai terminé mes études de médecine voilà bien des années et pourtant le remède que j’administre à mes patients et qui fonctionne chez eux, ne marche pas chez moi.
    Poussin a beau être très grande, elle a les pattes qui tremblent de peur. Les écailles de son dos sont couvertes de cendre de bois, on ne distingue presque plus leur couleur jaune.
    Neige de feu ne sait pas très bien que faire quand subitement, il se rappelle un remède de grand-dragmère.
    — Sapin des bois, avez-vous déjà essayé de vous toucher le front avec votre langue fourchue ?
    — Comment ? C’est une blag’ tchoum ?! lui demanda le dragocteur, en crachant une petite flamme de microbes.
    — Non, c’est ma grand-dragmère qui a donné ce truc à ma mère. Il paraît que ça marche parfois. Essayez pour voir. Vous ne risquez rien.
    Sapin des bois, le dragon vert qui est pourtant docteur, ignore tout de cette astuce. Il essaye une fois. Deux fois. Trois fois. Il essaye, encore et encore. Il ne parvient pas à toucher plus loin que le sommet de son nez. Et, en attendant, il n’éternua plus !
    Il essaye encore, car il est presque arrivé. Finalement, il abandonne.
    — Je n’y arrive pas. Ma langue n’est plus ce qu’elle était autrefois. Elle se fait vieille, elle n’est plus aussi souple que dans ma jeunesse. Je ne bois pas assez d’eau, elle serait certainement moins rigide si je l’humidifiais plus, non ? Qu’en dites-vous jeunes gens ?
    — J’en dis que vous n’avez pas éternué une seule fois pendant toute cette explication ! rigole Poussin.
    — Hé ! Mais c’est vrai ! Super, merci petit pour ce conseil. Je le note dans mon carnet de prescription, un médicament gratuit, très efficace et sans aucun effet secondaire.
    Et quand Sapin des bois leur demande ce qu’ils font dans ce bois, Poussin lui raconte toute l’histoire.
    — Regardez ! dit Neige de feu, vos flammes ont ouvert un passage vers le ciel. Poussin, tu vas pouvoir rentrer chez toi.
    Et Poussin n’attend pas plus longtemps pour ouvrir ses ailes et prendre de l’altitude.
    Quelques coups d’aile plus tard, elle revient annoncer qu’elle a retrouvé son chemin. Sa grotte n’est plus très loin, juste de l’autre côté de la forêt.
    Neige de feu prend congé des deux dragons en lançant un « aure… fée ». Cette fois-ci il disparaît dans un nuage jaune et vert.
    La fée est aussi émue que lui peut l’être à se contempler dans le miroir.
    — Je n’ai plus une seule écaille blanche. Regarde-moi ce dos jaune et cette tête verte ! Je n’en reviens pas, même mes yeux ont changé de couleur.
    — La toise devient trop petite, tu dépasses d’au moins six galets ! Tu es beau comme un prince, la félicite sa fée.
    — On devrait me trouver un autre nom. Je pourrais me rebaptiser arc-en-ciel, mais il me manque du bleu, plaisante le dragonnet qui n’est plus du tout malheureux.

     

     

     

     

    Chapitre 5 : Saphir

     

     



     

     

    Et alors qu’ils réfléchissent à un nouveau nom, la radio s’éveille d’elle-même.

    « Moi, une dragorcière ? Il n’y a que les fous qui peuvent croire que ça existe. Tout le monde sait qu’il n’y a que les fées qui savent faire de la magie. Mais les fées, plus personne n’en a jamais vu depuis des années flammes. Que vais-je devenir ? Serais-je condamnée à rester enfermée dans cette prison jusqu’à la fin de mes jours ? » la plainte de cette dragonnette ne peut laisser personne indifférent, surtout pas Neige de feu.
    — En plus, elle dit qu’elle n’a jamais vu de fée, c’est le moment où je peux venir avec toi si tu n’y vois pas d’inconvénient ? lui demande-t-elle de son sourire malicieux.
    — Peut-être que de la sorte, je ne disparaîtrai plus en prononçant le mot, puisque tu seras avec moi, c’est toi qui lui raconteras tout, lui répond-il.
    Un nuage bleu les entoure doucement.
    — On disait justement qu’il te manquait du bleu… lance la fée en riant.
    Dans la prison, Saphir, la dragonnette pousse un cri de surprise en voyant le nuage bleu se dissiper.
    — N'aie pas peur, nous ne sommes pas là pour te faire du mal, dit Neige de feu.
    — Nous ? Mais qui ça nous ? Où est l’autre dragonnet ? demande-t-elle en regardant partout dans sa cellule.
    — Je ne suis pas un dragonnet, je suis une fée ! lui répond une petite voix étouffée entre les deux ailes de Neige de feu.

    La fée apparaît sur l’épaule de son protégé. Elle semble plus petite que lorsqu’elle est sortie de sa peau de pierre. Sans doute est-ce le fait que Neige de feu est à présent beaucoup plus grand que lorsqu’il a pleuré sur elle.
    Saphir a des écailles vertes sur tout le corps excepté sur sa queue.
    — Oh ! Je sais ce qui vous intrigue, dit la dragonnette étrange. C’est la couleur de ma queue. Je suis née comme ça, je n’y peux rien. Comme toi, tu es tombé dans un arc-en-ciel pour être multicolore ? lui demanda-t-elle en riant timidement.
    — Non, je suis née tout blanc, j’ai gagné ces couleurs en aidant d’autres dragonnets. C’est une longue histoire lui dit-il pour terminer.
    — Et elle, demande Saphir, c’est vraiment une fée ? Elle est toute blanche et si…
    — Si petite ? Si étrange ? l’interroge la petite fée qui parade dans toute la pièce en faisant des ronds dans les airs et en matérialisant mille et une choses.
    — Oui elle en est bien une. Elle a de bien curieux pouvoirs, mais je peux te garantir qu’elle fait bien de la magie dit Neige de feu.
    — C’est ce que je vois dit Saphir en ne quittant pas la fée du regard.
    — Bon, comment allons-nous pouvoir la faire sortir d’ici ? demande le dragonnet aux multiples couleurs.
    La fée est dans tous ses états (imaginez un peu le bazar dans cette cellule. Vous souvenez-vous que cette fée est un peu particulière et qu’elle ne sait faire qu’apparaître des choses matérielles… mais qu’elle ne sait rien faire disparaître ?).
    — Je pense à quelque chose, dit la petite fée qui essaie de ranger tous ces objets encombrants. Il me suffit de faire apparaître une porte qui s'ouvre !
    — Bonne idée ! lance Saphir, mais où vas-tu la mettre ? Il y a un de ces bazars ici !
    En effet, plus un mur ne peut encore servir de porte de sortie. Puis, comme par un tour de magie, un oiseau apparait entre les barreaux de la fenêtre.
    — Bien sûr ! crie Neige de feu. Ma bonne fée, peux-tu faire apparaître une petite porte en lieu et place de cette fenêtre ?
    — Je n’ai jamais essayé cela. Mettez-vous, heu, derrière cette montagne d’affaires, voulez-vous ? Je ne voudrais pas que vous ayez cette porte sur les orteils ! dit-elle en se frottant les mains.
    Un claquement de doigts plus tard et une minuscule porte se matérialise en lieu et place des barreaux du donjon. Un cri de joie suivi aussitôt d’un deuxième et d’un troisième remplit la pièce.
    Neige de feu saisit aussitôt la poignée et ouvre la porte.
    — Je suis libre, enfin libre crie Saphir en embrassant Neige de feu sur la joue. Merci, merci surtout à toi petite fée bien sympathique que je suis bien heureuse de connaître !
    Un peu plus tard, alors qu’ils cherchent une vallée où se reposer, la fée voit un étrange phénomène se produire sous ses yeux.
    Elle a toujours cru que c'était la fée des Pigments qui offrait les couleurs aux dragons valeureux. Elle se souvient encore de ce qui lui avait raconté sa mère, alors qu’elle n’était encore qu’une fée en apprentissage.
    « La fée des Pigments habite dans les nuages de voyages. Elle seule a le don de colorier un dragonnet en croissance. Et encore il faut que ce petit dragon fasse preuve de courage et de bravoure. » La fée n’a jamais douté de la véracité de cette histoire puisque Neige de feu est à chaque fois parti et revenu de ses aventures dans un nuage coloré. Mais là, sous ses yeux, Neige de feu change encore de couleur !
    Près des nuages, son protégé et la dragonnette volent côte à côte, leurs queues enroulées l’une à l’autre. Et ce geste de tendresse donne à Neige de feu, une queue bleu… saphir !
    Chemin faisant, ils progressent vite et la vallée où Neige de feu a rendu vie à la fée se profile à présent devant eux.
    — Nous voilà de retour chez nous, enfin chez moi, corrige Neige de feu triste à l’idée de devoir se séparer de Saphir pour qui il ressent des sentiments amoureux.
    — Tu peux dire chez nous, sauf si tu préfères une autre vallée. Là où j’habite, il y a très peu de grottes et une multitude de falaises rocheuses très glissantes, lui confie-t-elle.
    Ivre de bonheur, Neige de feu invite son amoureuse et sa meilleure amie la bonne fée à venir jusque chez lui pour faire connaissance avec ses parents.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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