• SSII Safari - (Mathéo Spicherd)

     

     

     

    Avertissement
    Cette histoire est basée sur des faits réels ayant récemment défrayé la chronique. Aussi toute ressemblance avec des personnes vivantes, même mutilées, ou récemment décédées, ne sera pas forcément fortuite. Les noms des personnes ont naturellement été changés pour ne pas nuire à leur famille et à leur entourage. Il en est de même pour le nom des personnes morales (Par personne morale, on entend « entreprises, associations »... Je précise pour ceux dont le vocabulaire usuel n’a pas été compromis par des années d’asservissement intellectuel dans nos chères (de plus en plus) universités).
    Bien que basée sur des faits réels, je me suis permis, en tant qu’auteur, de combler les parts d’ombres qui n’ont pas encore été levées sur cette affaire. Pour ce faire, j’ai dû imaginer ce qu’il aurait pu être, si bien qu’emporté par mon élan, j’ai de plus en plus romancé mon sujet. Cette histoire est donc une fiction, pure invention d’un auteur dont le manque cruel d’imagination a été comblé par des faits réels. Aussi, toute ressemblance avec des personnes atrocement mutilées ou récemment décédées devrait conduire immédiatement aux urgences ou à la morgue.

    Mathéo Spicherd

     

     

    Dédicace
    Un commercial, c’est un peu comme le Père Noël qui a oublié les cadeaux. Il ne va rien te donner mais il va quand même te ramoner la cheminée. Anonyme (faire une dédicace à un anonyme peut paraître étrange, mais sa grossièreté la rendait indispensable)

     

     

     

     

     

    Jeudi 5 mai, 20h47. Paris 16ème, Avenue Victor Hugo.
    Et si tout commençait par la faim ? Philippe Legland descendait l’avenue Victor Hugo sur son nouveau scooter. Ses yeux scrutaient les trottoirs où quelques misérables traînaient leurs guêtres. Il devenait urgent de trouver une place où garer sa bécane, le temps d’aller se gaver au fast food au bout de la rue. Il venait de quitter les locaux de Proxys et il avait vraiment la dalle. Pendant plus de deux heures, il avait reçu de jeunes naïfs en entretien d’embauche. C’était toujours le même cinéma… D’abord, vendre l’entreprise « à taille humaine », ensuite déstabiliser le candidat et lui faire une proposition qu’il ne « pouvait » pas refuser. Le dernier mec avait été particulièrement coriace…
    Il était en train d’y repenser quand la voiture devant lui pila brusquement. Il n’avait pas anticipé et il ne réussit qu’à freiner un peu avant que le choc ne le propulse, lui et son 125, sur le bitume. Par chance, il n’avait quasiment rien, tout au plus quelques ecchymoses, mais le scooter semblait avoir encaissé d’avantage. « Putain, son beau scoot tout neuf! » Au moment où il se relevait, prêt à en découdre avec le chauffard, la voiture fit une marche arrière rapide. La dernière image fut le pare brise qui s’approchait trop vite, puis plus rien.

     

     

    Jeudi 5 mai, 21h05. Paris 15ème, Avenue du Maine.
    Yoann était vautré sur son sofa, la tête basculée en arrière. Ses yeux grands ouverts regardaient fixement le plafond parfaitement blanc du salon. Un bruit de sirène, à l’extérieur, le sortit de ses rêveries. Ça lui arrivait régulièrement de se plonger dans une contemplation du rien, de faire le vide dans sa tête. Lorsque son ex, devant son mutisme, lui demandait à quoi il pensait, il savait qu’un conflit s’amorçait. Marie ne comprenait pas qu’il soit possible de ne penser « à rien » et elle le soupçonnait toujours de vouloir cacher quelques pensées secrètes. Il en était même arrivé à inventer des réponses absurdes, que par chance, elle acceptait : « Je me demandais quel sera le temps demain… Je réfléchissais à la trajectoire des comètes… »
    Mais tout ça, c’était fini. Il redressa sa tête et porta son regard sur la table basse en face de lui. Deux bouteilles vides voisinaient avec ses lunettes cerclées de fer et un petit livre « L’État et la Révolution ». Hier soir, il avait bu ces deux bouteilles en l’honneur de son nouveau statut de célibataire.
    Tout avait commencé normalement. En sortant du boulot, il était allé boire un verre avec son amie et collègue Vanina. Lorsqu’il était rentré chez lui, un peu tard, Marie, l’attendait. « T’étais où ? Avec qui ? Tu sens la bière ! Encore avec cette fille !! Non, je ne suis pas jalouse mais tu passes plus de temps avec cette pute qu’avec moi ! Pourquoi tu souris ? Tu te moques de moi ! J’en ai marre, c’est la fin ! N’essaie pas de me rappeler ! ». Elle lui avait rendu son jeu de clefs et avait claqué la porte derrière elle. Yoann était un calme aux colères rares et froides et il ne pouvait pas comprendre qu’on crie et qu’on s’agite comme Marie. Depuis trois mois, c’était devenu assez régulier et il ne pouvait plus le supporter. Cette rupture, c’était donc une bonne chose qu’il avait fêtée dignement avec deux bouteilles. Comme l’avait écrit Kundera, «Séduire une femme, c’est à la portée du premier imbécile. Mais il faut aussi savoir rompre ; c’est à cela qu’on reconnaît un homme mûr.» Là, il n’avait pas été mauvais.
    Après avoir retouché terre, il se soucia de nouveau des contingences humaines, à savoir qu’il devait s’alimenter. Il lâcha son bouc orangé et alla vérifier ce que son frigo pourrait lui proposer. Et comme d’habitude, le choix était limité à des œufs et quelques knacks qui représentaient la composante solide de son alimentation. De toute façon, il n’avait pas très faim et une bière lui remettrait l’estomac à l’endroit. S’il se sentait mieux ensuite, il pourrait toujours reprendre ses lectures.

     

     

     

    Jeudi 5 mai, 21h38. Paris 16ème, Avenue Victor Hugo.
    Le lieutenant de police Alain Lebullock arrivait sur place vingt minutes plus tard. Des contractuelles, en train d’aligner des amendes, avaient été intriguées par un deux-roues accidenté sur le trottoir de l’avenue. En interrogeant les passants, elles avaient été surprises par le témoignage d’une petite fille et avaient préféré appeler le central.

    Lebullock se dirigea immédiatement vers les deux jeunes femmes en uniforme. A côté se tenait une petite manouche, Euphrasia dont le témoignage était la raison de son déplacement.
    - Alors petite, raconte-moi ce que tu as vu.
    - T’aurais pas des clopes ?
    Mon dieu, ces jeunes roumains fumaient dès l’enfance. Peut-être même qu’elle était déjà droguée, ou même prostituée par ses parents. Qui sait ? Ha, on pouvait critiquer l’union soviétique mais au moins, ils gardaient leurs rebuts chez eux. La dictature a parfois du bon. Il sortit son paquet de gauloises et le tendit à la gamine qui s’en empara tout entier pour le ranger dans sa veste.
    - Hé ?! mais qu’est-ce que tu fous avec mes cigarettes ?
    - C’est pour mon père.
    - Mais c’est MES cigarettes !
    - Merci, c’est très gentil d’aider des gens dans le besoin monsieur le policier. Dieu vous le rendra.
    Mais bien sûr ! Ah, si il n’avait pas eu peur d’avoir l’inspection des services sur le dos, il aurait filé une bonne trempe à cette sale immigrée. Mais un jour ça changerait, et là, il serait présent pour accompagner l’exode. « Il faut les remettre dans les bateaux » avait dit une députée trop dextre pour être une adroite politicienne. Mais que diable, elle avait raison ! Dans le bateau et bon vent ! Le lieutenant de police n’avait pas réfléchi qu’on ne vient pas d’Europe de l’Est en bateau mais par la terre. Sur le moment, cette subtilité géographique lui avait échappé… Mais peu importait, il lui fallait savoir ce que cette petite prostituée avait vu.
    - Bien Euphrasia, dis-moi ce qui s’est passé.
    - Oui bien sûr, cretinule. Il y avait un monsieur sur un scooter. La voiture devant, elle a freinée fort et il y a eu un accident. Ensuite, le chauffeur de la voiture, il a pris le type du scooter et il l’a mis dans sa voiture et il est reparti en laissant le scooter sur la route… Et puis après, les autres conducteurs, derrière, ils ont eu marre d’attendre. Alors y en a un qui est descendu de sa voiture et il a mis le scooter sur le trottoir. Et puis tout le monde est reparti. Voilà.
    - Et il était comment le motard ?
    - Il était en costume.
    - C’est tout ?
    Au fur et à mesure, la description se fit plus précise. L’individu au scooter avait un costume sombre, cravate bleue. Le casque « Jet » n’avait laissé entrevoir le visage qu’en partie. Quant au conducteur de la voiture, c’était un jeune homme. Mais à part ça, ça allait être difficile de l’identifier. Il portait un jeans et un sweatshirt avec capuche rabattue sur son visage. Étrange… La voiture blanche devait être un petit modèle, genre Twingo ou Corsa. Le plus intéressant résidait dans la description de l’accident. La petite avait finalement précisé que le chauffeur avait fait une marche arrière et repercuté le scootériste après le premier impact. Après, être descendu de son véhicule, il aurait palpé l’homme inconscient et l’aurait embarqué. Lebullock, attendit patiemment que la fourrière récupère le scooter avant d’aller taper son rapport. Maintenant, il fallait se renseigner sur le propriétaire du scooter et tenter de le retrouver. La manœuvre inhabituelle du conducteur et sa capuche rabattue étaient des éléments suspects.

     

     

     

    Jeudi 5 mai, 21h45.
    Philippe se réveillait doucement. Sa tête ballottait et elle lui faisait un mal terrible. Du sang avait coagulé sous son nez. L’accident. Il voulut se gratter pour enlever le sang mais ses mains étaient bloquées, attachées derrière son dos. Il était allongé à l’arrière d’une petite voiture en mouvement. En jouant des coudes et en poussant bien sur sa jambe gauche, il parvint à se redresser complètement. Ils étaient sur l’autoroute en direction du sud, l’Essonne. La nuit était tombée mais il pouvait distinguer le regard du conducteur dans le rétroviseur. Il connaissait ce regard. Philippe ouvrit la bouche pour parler, mais avant qu’il ait pu émettre le moindre son, le chauffeur pivota sur lui-même et lui envoya son coude en pleine gueule. Il sentit ses dents vaciller et il replongea dans l’abîme.

    Quand il rouvrit les yeux, il ne vit que la nuit. Sa bouche lui faisait mal et sa tête cognait furieusement. Le premier sens à revenir fut l’odorat. Ça puait à mort. Puis la vue et le toucher revinrent à peu près en même temps. Il était adossé à un mur décrépit.. Le sol était recouvert d’une sorte de linoléum moisi représentant un carrelage rose et vert… à gerber, ce qu’il fit d’ailleurs immédiatement.
    Un peu plus loin, un rat était en train de casser la croûte. De l’autre côté, une source de lumière bleutée attirait son regard. Le conducteur de la voiture était assis devant un ordinateur portable. L’ouïe revenait, lui permettant de distinguer des bruits de rafales, un bruit de sabre-laser. HEAD SHOT.
    Philippe devait rêver. L’homme se retournait vers lui et son visage avait changé. Il était blanc comme un cul avec un énorme sourire noir… comme le tueur du film scream ! Et dans sa main droite, il tenait un couteau de boucher.
    - Avec ou sans vaseline ?
    - Quoi ? mais qu’est-ce que vous voulez ?
    Clic. Gentleman ! destroy ! Une batterie et une armée de guitaristes envoyèrent leurs décibels pendant que Chewbacça poussait des hurlements. Le cinglé s’approchait lentement et la peur avec lui. Philippe ne put s’empêcher de hurler. L’angoisse était trop forte. L’odeur aussi ! On allait peut-être l’entendre, venir le libérer ? Qu’est-ce que ce fou allait lui faire ? Pourquoi ce couteau ? C’était quoi cette histoire de vaseline ? PITIEEEEEEEEEEEEEEEEE !
    Son hurlement collait bien avec la musique. C’était beau. Est-ce qu’il allait réussir à tenir tout l’album avec le même brio ?

     

     

     

    Vendredi 6 mai, 8h49. Paris 1er, 36 quai des Orfèvres
    La veste de costume négligemment jetée par-dessus l’épaule, le lieutenant de police Enio Levasseur marchait d’un pas lent et assuré. Il revenait d’une semaine de vacances en Tunisie et il en portait encore les stigmates : chemise ouverte sur son torse bronzé. Le soleil matinal le baignait d’un halo de lumière.
    Quand il passa la porte de la DRPJ, la jeune femme à l’accueil lui décocha son plus beau sourire, admirant la silhouette athlétique du lieutenant. Il faut dire qu’Enio était un bel étalon. Sa haute stature, son dos en V, ses épaules de bœuf et les avant-bras de Popeye imposaient le respect. Son visage massif et énergique était éclairé par un regard bleu d’acier. Le crâne rasé finissait d’exacerber cette impression de virilité dégagée par toute sa personne. Et si cela n’avait pas suffit, Enio pouvait toujours compter sur son sourire enjôleur et sa voix de basse. A force de le regarder, la jeune femme de l’accueil en aurait presque humidifié son uniforme… enfin ça, c’est ce qu’il imaginait.

    Alors qu’il s’approchait du grand escalier, il fut hélé par Claude Defer, un collègue beaucoup moins gâté physiquement… et intellectuellement. La police ne recrutait pas que des flèches. Heureusement qu’il était là, lui, pour redorer le blason de cette grande maison. Defer lui signalait que le principal de la DRPJ, Charpaing, le demandait de toute urgence.
    Urgence ? Enio montait les escaliers tranquillement, échangeant des platitudes avec quelques collègues. Il était hors de question qu’il s’empresse parce que le vieux avait une « urgence ». Les problèmes d’incontinence du troisième âge ne le regardaient pas.
    En entrant dans son bureau, il salua amicalement Frédéric Faure. Son subordonné était assis derrière son ordinateur éteint et nettoyait son flingue. Après quelques échanges sur les vacances, Enio se mit en devoir de se faire couler un café avec sa cafetière italienne.
    - Bon, et toi ? Ça c’est bien passé pendant mes congés ?
    - Ouep. La routine habituelle.
    - Bon, ben on va essayer de mettre un peu d’ambiance, alors.
    - A ce propos, je ne sais pas si on t’a prévenu, mais le patron voudrait te voir.
    - Ouais je sais, mais avant, je vais boire un café.
    - Héhé.
    Fréd avait beaucoup d’admiration pour son « patron ». Enio était une vraie baraque, un tank. Comme chaque matin, il venait de se frapper une heure de musculation avant de venir travailler et il avait l’air en pleine forme. Rien ne semblait l’affaiblir ou l’effrayer, même pas les urgences du « Père Fourras ». C’était le surnom de Charpaing. Enio éteignait le feu sous la cafetière.
    - Tu sais ce qu’il me veut ?
    - Non, a priori, ça concerne un accident.
    - Un accident ?
    Fred haussa les épaules en signe d’ignorance. Un accident… Franchement, Enio n’avait pas demandé son affectation à la BC (brigade criminelle pour ceux qui ne suivent pas) pour s’occuper d’un vulgaire accident. D’ailleurs, d’une manière générale, il était assez mécontent des missions qui lui avaient été confiées jusque là. Lui qui espérait briller par ses faits d’armes… tous les gros coups étaient gérés par « Monsieur Pierre Leboeuf », un vioque dont les quelques neurones devaient avoir du mal à se connecter. C’est vrai que ce vieillard sénile avait de bons résultats, mais ça tenait plus à la chance qu’à son intellect. Enfin bon, le café était fini et il ne fallait pas trop faire attendre Charpaing, celui-ci étant, comme tous les vieux, un peu irascible. Il alla donc frapper à sa porte, au deuxième étage.
    - Entrez !
    - Bonjour Monsieur, vous m’avez fait demander ?
    L’avantage du vieux, c’est qu’il se fondait parfaitement dans le décor. Les murs, le bureau, la chaise et le vieux, tout était gris, ton sur ton. Seuls son gilet, sa pipe et ses yeux étaient encore noirs… mais ils allaient certainement se mettre au pas et le vieux deviendrait complètement invisible. Cette agréable pensée le fit sourire.
    - Bonjour Levasseur. Il y a une affaire sur laquelle je veux que vous enquêtiez. - Il lui tendit une copie d’un rapport rédigé par un certain Lebullock. Un accident de la route y était décrit dans le détail.
    - Et en quoi un accident concerne la BC ?
    - Comme vous pouvez le voir en lisant attentivement le rapport, la voiture aurait fait une marche arrière relativement incongrue après le premier choc. Ensuite, le conducteur aurait fait monter le motard à bord… et nous n’avons plus aucune trace de lui.
    - Les hôpitaux ?
    - Le lieutenant Lebullock, qui a rédigé le rapport, a fait une recherche grâce à la plaque d’immatriculation du scooter. Le disparu s’appelle Philippe Legland, 36 ans, domicilié au 24 rue Brezin dans le 14ème, commercial dans une société de services en informatique. On n’a retrouvé sa trace dans aucun hôpital et dans aucune clinique.
    - On ne devrait pas confier cette affaire à la Brigade de Recherche plutôt ?
    - Vous travaillez sur quoi en ce moment ?
    - En ce moment ?
    - Vous me ferez un rapport sur votre avancement ce soir !
    Quel vieux con alors ! On ne devrait jamais rentrer de vacances. Charpaing pensait aussi que Levasseur n’aurait pas dû rentrer de vacances. Le principal n’aimait pas beaucoup ce bellâtre plus fourni en masse musculaire qu’en réflexions de qualité ! Quand il l’avait accueilli dans son service, il avait espéré le mettre sous les ordres de Pierre Leboeuf. Mais son vieil ami, un enquêteur chevronné et perspicace, l’avait supplié de ne pas lui foutre de boulet aux pieds. « Tu comprendras plus tard » lui avait-il dit. Comme d’habitude, Leboeuf avait cerné le personnage au premier coup d’œil : un con.

     

     

     

    (Ajouter à partir du vendredi 6 mai 9h30)

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