• Jean Antoine de Baïf, ce méconnu (Frédéric Fabri)

     

    Jean Antoine de Baïf, ce méconnu

    Frédéric Fabri

     

     

     

     

    Préface



    « Je ne sais plus par quel chemin, voici bien des années, je suis venu à Baïf. C’est, j’imagine, le goût des hommes et des choses de la Renaissance, si vif, dans cette génération, qui m’a conduit vers lui, et aussi peut-être l’attrait de l’inconnu. Ceux à qui j’exposais mon projet me disaient : « Vous ferez oeuvre utile ; mais Baïf est bien ennuyeux »
    Je ne serais ni étonné, ni déçu, et je m’estimerai honnêtement payé de ma peine si l’on juge ce livre fait à l’image du poète, hérissé, broussailleux, ennuyeux, - mais utile. »

    C’est par ces mots que débute la préface de Mathieu Augé-Chiquet, pour son livre de 1909 intitulé « La vie, les idées et l’œuvre de Jean Antoine de Baïf »
    Loin de moi l’envie d’une telle ambition qui consisterait finalement à réécrire ce livre qui n’a pas pris une ride, en corrigeant peut-être quelques petits éléments que de rares personnes contestent. Mais en ouvrant le pdf de ce livre, en format image, j’ai été immédiatement conquis par son humilité, sa sincérité, sa documentation, ses personnages.
    Car, si certains chapitres sont techniques, d’autres sont du pur roman historique, dans l’esprit du moins. La vie de Jean Antoine de Baïf mérite un meilleur accueil des lecteurs, même si le poète maudit que je veux ressusciter a été éclipsé dans l’inconscient collectif par ses congénères de l’époque, pour quelques œuvres plus du goût du public, en majorité scolaire. Si cela peut sembler à certains « de l’ordre d’un Dieu qui n’a plus besoin de rien », je suis persuadé quant à moi que traverser cette époque avec un tel compagnon est une opportunité sans pareille.
    Le livre étant du domaine public, puisque Mathieu Augé Chiquet est malheureusement décédé fort jeune en 1912 (39 ans), j’emprunterai à celui-ci de nombreux passages, fort bien écrits, mieux en tout cas que je ne saurais le faire moi-même, et j’en résumerai d’autres, tout en rajoutant peut-être parfois quelques éléments historiques afin de bien planter le contexte de l’aventure.
    Pour ceux qui n’ont pas peur de six-cent-soixante pages en format image, avec parfois des passages très techniques, mais instructifs, je ne peux que conseiller l’original mis à disposition par l’université de Toronto à l’adresse suivante :


    https://archive.org/stream/lavielesideset00auguoft#p...


    Pour les autres, j’espère être à la hauteur de leur confiance et de la tâche entreprise.

     

     

     

     

     

    Une enfance studieuse


    Jean Antoine de Baïf naît à Venise en février 1532, de mère inconnue, et de père ecclésiastique, peut-être le 19 selon Mersenne dans une de ses œuvres.
    Son père, en poste depuis juillet 1529, en qualité d’ambassadeur du Roi de France, alors François 1°, reste discret sur l’origine de l’enfant. Il faut dire qu’en ce même mois de février, l’Abbaye de Grenetière lui est enfin accordée, et qu’il a besoin de cette manne financière.
    Piètre diplomate espion, il ne se forme point au contact des maîtres vénitiens aux arcanes de la politiques. Mais il mène grand train, pour représenter dignement son maître, avec table ouverte, pour les seigneurs vénitiens comme les hommes de lettres. Cet humaniste érudit traduit Plutarque, donne des cours de grec, prête libéralement de nombreux ouvrages de sa riche bibliothèque.
    « Son obligeance, sa bonté, sa loyauté, sa générosité enfin lui conquièrent la sympathie de tous ceux qui ont l’occasion de l’approcher ».
    On ne sait de cette naissance que ce que Jean Antoine en écrira plus tard, dans son « Épitre au Roy », riche en détails auto-biographiques.
    Le choix des deux parrains de l’enfant est malheureux. Le cardinal George d’Armagnac, humaniste besogneux, vagabond et hâbleur, vivant de leçons et de dédicaces, ne se préoccupera pas de son neveu. Pas plus que Antonio Rincon, réfugié espagnol, émissaire du roi de passage à Venise, et espionnant le turc Soliman le Magnifique, qui sera assassiné quelques années plus tard par les sbires de Charles Quint. La famille de son père (deux sœurs) l’ignore aussi totalement, sauf quand il s’agit de récupérer une partie de l’héritage.
    Son père cependant, dès son retour en France, en février 1534, remplit à son profit un acte officiel de légitimation ce qui à sa mort, évitera à son fils d’être dépossédé.
    De bonne heure, l’enfant passe des mains des nourrices et gouvernantes à celles de deux précepteurs, Charles Estienne, pour le latin, et Ange Vergèce pour le grec ancien. Le premier, ami humaniste, érudit et doué, traduisant des œuvres anciennes, imprimant traités élémentaires de grammaire latine… Le second, « écrivain ordinère de François 1, parlant « mauvais françoys et l’écrivant encore plus mal », avait cependant une « gentille main » pour l’écriture grecque, et ce scribe, qui eut de nombreux élèves, fournit les modèles à Garamond pour le gravage de ses caractères d’imprimerie.
    Ange Vergèce et Lazare de Baïf se trouvaient à Venise durant la même période. Connaissant l’attrait de Lazare pour les manuscrits grecs, il est fort probable qu’ils se soient connus là-bas. En tous cas, la « patte » du maître se retrouvera dans la main de l’élève par la suite.
    Au début de 1540, François 1 le charge d’une mission importante en Allemagne, voyage long et périlleux (la peste y sévit) dont l’enfant est exclu, laissé aux mains de Jacques Toussain. Lazare part le 16 mai 1940, accompagné de Charles Estienne et d’un certain… Pierre de Ronsard, alors âgé de seize ans, au service du Duc d’Orléans, et devant être pour celui-ci ses « yeux et ses oreilles ».
    La mission ne dure que quatre mois, mais comme son père est accaparé par de nombreux offices, Jean Antoine restera pensionnaire de Jacques Toussain durant quatre ans.
    Celui-ci a étudié grec et latin. Nonchalant et timide, il n’ose écrire, et Bodé, son ami, le pousse à ordonner et imprimer ses nombreuses notes. Si de son portrait, on peut y retrouver les traits d’un savant austère, aux convictions énergiques, il restera à tout jamais pour Jean Antoine ce « Bon Tusan », placide et doux. Ses livres sont considérés comme inférieurs à son enseignement. Qualifié de bibliothèque parlante, il a toujours été exact, net et précis dans ses explications, il était aussi appliqué et modeste. Enfin, il avait l’art d’éclairer les passages obscurs des anciens textes, en s’appuyant sur la grammaire.
    De cette période, il semble que Jean Antoine se soit lié durablement d’amitié avec un autre élève, Nicolas Vergece, fils de son premier maître.
    Milieu 1544, Son père le confie à Jean Dorat, alors hébergé chez lui. Ronsard, âgé de vingt ans, vient lui aussi profiter de cet enseignement exceptionnel, avec Jean Antoine pour guide, malgré sa jeunesse.
    Lazare de Baïf meurt en 1547 et Jean Dorat part enseigner au collège des Coquerets, emmenant ses deux élèves avec lui.
    On ne sait exactement aujourd’hui combien de temps ceux-ci restèrent ainsi avec Dorat, ni tout ce qu’il leur enseigna. Néanmoins, la culture « classique » de Jean Antoine à quatorze ans est bien plus étendue que celle de Marot à sa mort : un des effets de la Renaissance, voulus par François 1, du travail acharné des pionniers, et une mission que la Pléiade plus tard voudra prolonger, pour donner à la culture française les connaissances des textes anciens en grec et en latin.
    Ainsi, Jean Antoine, comme Dorat, traduira en français de nombreuses œuvres, pour le profit des suivants. Il aura le même goût que son maître pour « l’alexandrinisme, la recherche de l’anecdote historique, des curiosités de l’érudition ».
    Si Jean Dorat ne doit pas à ses dons de poète sa place dans la Pléiade, c’est par son érudition et sa qualité de maître « père des poètes » qu’il s’imposa, leur ayant appris leur métier d’écrivains et de versificateurs. Jean le Masle va jusqu’à affirmer qu’il n’est point de poète français « qui ne tienne de lui, et qui n’ait autrefois cueilli les mots dorés de sa bouche sucrée ».
    DeVitrac prétend que Dorat savait aussi entrecouper les auteurs anciens avec la lecture de Jean de Meug, Gaston de Foix, Alain Chartier, Villon, Philippe de Commines. C’est imaginé, mais la Pléiade ne méprisera pas indistinctement tous les écrivains qui l’ont précédée.
    La disparition prématurée de Lazare, père protecteur aimé, seule famille de son fils non reconnu par les siens laisse le jeune Jean Antoine, orphelin à seize ans aux alentours de début novembre 1547, sous le début de règne d’Henri II.
    Si celui-ci s’inscrit dans la lignée de son père François 1 en ce qui concerne les arts et la politique étrangère, il prend dès octobre 1547 des mesures répressives contre les protestants. Il met en place une politique monétaire moins dispendieuse, une administration de cour complètement renouvelée en 1547, de nouveaux impôts et des réformes visant à établir un État puissant au pouvoir centralisé, ce qui ne se fera pas sans heurts intérieurs que les écrivains et poètes ne pourront ignorer.

     

     

     

     

     

     

    De l’étude à la poésie et aux amours.



    On ne sait à quel moment exact Jean Antoine et Ronsard terminèrent leurs humanités au Collège des Coquerets. On les retrouve à Paris, sur les bancs du Collège de Boncourt, écoutant de savantes lectures, comme Jean Passerat débutant, expliquant les commentaires de César. Il passe l’année 1551, moitié à Paris, moitié à Orléans, intéressé par la « Faculté des lois ».
    Jean Antoine se lie d’amitié avec Muret en 1551, et il retrouvera chez lui ses amis Ronsard, Jodelle, Nicolas Denisot, Belleau… futurs membres de La Pléiade. A-t-il bien rencontré à Meudon, chez le cardinal de Lorraine, La Boétie auquel est adressé en 1555 un sonnet des « Amours de Francine ».
    Comment vit-il ? Le groupe a un mécène, Jean Brinon, qui paie de somptueuses dédicaces. Il participe a une œuvre collective « Le tombeau de Marguerite » pour la sœur de François 1 qui lui donne un peu de notoriété au-delà de son cercle de connaissances. Il a déjà un peu composé : un essai « sur la paix avec les Anglais », un sonnet « Gentil Ronsard » qui sera publié en fin du livre de son ami en 1550. Il ne s’agit pas d’oeuvres très glorieuses, mais Jean Antoine prouve qu’il y maîtrise techniques et clichés de l’époque.
    Dans ce contexte poétique foisonnant très à la mode, ami d’un Ronsard populaire pour ses Odes et bientôt pour « Les amours de Cassandre », Jean Antoine publie fin 1552, les « amours de Méline ».
    Las. Il n’en retire qu’une polémique qui le fera rager contre un certain « Mastin », un critique peu bienveillant dont nous ne saurons rien. Il quitte Paris, sonne l’hallali, dégorge sa bile en vingt pages de malédictions ininterrompues mais… il n’est pas plus sincère que dans ses vers. Il soutiendra en 1554 que les poètes discourent mieux de l’amour quand ils sont « moins atteints de maladie ». Il n’est pas le seul à ainsi créer de feintes chansons pour « une amour contrefaite » : « chansons », car comme beaucoup de ses amis, il chante ses vers en s’accompagnant de la guitare.
    En 1553, à Arcueil, avec ses amis poètes, il se prête à une joyeuse mascarade déguisée en l’honneur de Jodelle, « la fête du bouc », imitation d’un rite païen grec, qui vaudra par la suite quelques tracas à ses auteurs, pour l’avoir chacun racontée dans leurs vers. Ronsard ira jusqu’à effacer les siens pour faire cesser la polémique avec les protestant et le diocèse de Gentilly qui les accuse d’idolâtrie. Jean Antoine la raconte dans son « dithyrambe à la pompe de bouc d’Estienne Jodelle ». Le bouc a t-il bien été égorgé, quoique les participants s’en soient défendus ? Mystère.
    En 1554, il est à Poitiers, avec son ami Tahureau, « poète des nuits », gentilhomme du Maine et parent de Ronsard. Il y restera neuf mois.
    Poitiers est alors une ville très active, avec nombre de poètes et d’éditeurs hardis et généreux.
    Les deux amis fréquenteraient alors deux sœurs, dont l’identité est toujours sujette à caution. Tahureau a souffert avec Marion, chantée dans « l’Admirée », mais point de trace de la rupture. La femme avec laquelle il s’est marié, Marie Grené, n’est pas la sœur de son ami Guillaume de Gennes. (Source : La vie de Tahureau, par Henri Chardon 1885). Jean Antoine sera présent à son mariage dans le Berry.
    Malheureusement, Tahureau meurt à Paris quelques semaines plus tard, en 1555, mort « poétiquement » attribuée à Marie qui l’aurait « épuisé ». Il faut dire que ses amis qui avaient perdu un célibataire endurci n’avaient pas vu ce mariage d’un bon œil.
    Quant à Jean Antoine, il tombe réellement amoureux de « Francine », qui qu’elle soit vraiment, mais son affection n’est pas réciproque. Il feint un temps d’avoir conquis la belle pour mieux implorer le pardon de son mensonge. En vain. Le livre paraîtra en 1555. Il tentera une nouvelle approche cinq ans plus tard, sans succès.
    À noter entre 1554 et 1555 sa brouille avec Ronsard, certainement sur des malentendus et quelques ragots en sus de propos aigre-doux. Mais Jean Antoine en éprouve du chagrin, tend quelques vers à son ami. Des amis se chargent alors d’organiser une réconciliation définitive.
    Jean Antoine rentre à Paris, où ses amours de Francine remportent un vif succès. De ses premières années d’écriture subsistent des « baisers », des œuvres un peu licencieuses, dont il s’est vite détourné. Son « pétrarquisme » s’affirme, ainsi qu’une certaine influence « Bembiste ». Il pille aussi (« emprunte sans cesser d’être original ») sans essayer de dissimuler jusqu’aux plus prestigieux. Ainsi, il concourt à la diffusion en français de nombreuses œuvres italiennes, retouchées pour l’occasion. Cependant, on croit parfois qu’il a traduit tel ou tel sonnet, mais l’original n’existe pas.
    « Il imite les textes, transpose les thèmes, pétraquise et bembise les yeux fermés » puis il rejette cette défroque lyrique en s’éloignant de la poésie amoureuse… comme une libération. Il en a cependant tiré la quintessence des règles et procédés.

     

     

     

     

     

     

     

     

    Poète à la Cour


    Malgré l’accueil flatteur de ses amis pour ses « amours », sa « docte lamentation » sur son insuccès, il faut reconnaître, et Ronsard le fera, que ces œuvres sont indignes du talent de Jean Antoine. Celui-ci admet être un peu « paresseux à se repolir ». Pire, il avoue écrire pour lui : « Mon but est de me plaire aux chansons que je chante ».
    Mais ce n’est que feinte. La poésie lyrique n’est pas son domaine de prédilection même s’il en a démonté les mécanismes et compris, voire théorisé les règles.
    Il voyage. Début 1556, il est dans la Sarthe, chez Jacques Morin, conseiller au Parlement de Paris. Il ne se rend qu’une seule fois en Italie, histoire de se ressourcer mais, peu observateur, il note que les gens sont les mêmes partout.
    Pour vivre, moins favorisé que Dorat et Ronsard, sans famille, il fréquente assidûment la cour d’Henri II et fait payer nombre de dédicaces, épithalames, tombeaux, épitaphes, épigrammes, poèmes officiels et autres œuvres de circonstance tandis que dans le même temps il continue ses traductions, et écrit même trois œuvres de théâtre dont l’une sera jouée : « Le brave » et « l’eunuque », deux comédies, et une « Antigone », où il ne se contente pas de traduire, mais bel et bien d’adapter le théâtre grec au goût français. Il s’autorise ainsi hardiment quelques arrangements et rajouts personnels. Selon ses pairs, il aurait pu être un bon auteur dramatique mais Jean Antoine ne s’y investira pas plus, malgré un réel talent en la matière. Il aurait aussi mis en français en autres la « Médée » d’Euripide et le « Platon » d’Aristophane Malheureusement, ces ouvrages sont perdus.
    Pour la « Franciade », œuvre collective de la Pleïade, il écrit « Genevre » et « Fleurdepine », deux poèmes d’aventures. Mais Ronsard n’achève pas le projet et l’édition est un échec en 1562.
    Même si tout est prétexte pour se faire remarquer des puissants, il écrit pour de nombreux fonctionnaires voire petites gens (jusqu’au « capitaine d’argoulets et couppejarrets »), loue aussi les autres poètes, versifie des faits historiques comme la prise de Calais…
    Il charge aussi des amis de transmettre aux puissants à l’étranger ses recueils de poèmes qu’il dédicace en vers, espérant des « commandes » pour se faire « immortaliser, moyennant un honnête salaire ».
    Malgré tout, si ses vers sont pesamment assenés, c’est parce qu’il est au fond malhabile à flatter, qu’il souffre d’une gaucherie naturelle et qu’il doit lui rester encore un peu de fierté dont il n’a su se défaire, malgré les flatteries distribuées « à pleins sacs ».
    Il n’en obtient que de modestes charges, parfois fictives parce que non-payées, comme « secrétaire de la chambre du Roy », et de petites cures catholiques. Plus ou moins payé pour ses nombreuses œuvres, copiées, apprises par cœur et colportées par d’autres à la cour, il ne récolte que des succès éphémères sur des œuvres « illisibles » aujourd’hui, et pourtant écrites en vers grecs, ou latins, ou français rimé et mesuré, voire les trois à la fois.
    Grâce à une de ces « petites cures », on apprend qu’en 1564 Jean Antoine habite sur les fossés près de la porte Saint Marcel et de la porte Saint Victor au pied de l’ancienne enceinte de Philippe Auguste édifiée vers 1200 dans l’actuel cinquième arrondissement de Paris.
    Il parvient quand même à se faire remarquer par Catherine de Médicis, pour laquelle il écrira « Les météores » en 1567 (L’églogue premier est sien, puis il s’inspirera de l’italien Giovanni Pontano, de Virgile et de Bion). Mais comme pour ses églogues, écrites pour la plupart avant 1560, il n’en tire aucun succès.
    Il bénéficie aussi, dès le règne de François II, d’une pension de douze cents livres, ce qui est considérable pour l’époque mais ne semble pas le satisfaire surtout qu’il prétend qu’elle ne lui ai pas toujours payée.
    Dès 1567, il prépare son idée d’« Académie de musique et de poésie », car les poèmes sont chantés, et les premiers vers mesurés le sont avec la lyre. Le jeune roi lui-même, comme son père, aime s’accompagner d’un lutrin. Jean Antoine pratique aussi la guitare espagnole. Malgré l’opposition du Parlement, L’Académie, créée le 15 novembre 1570 par Charles IX se réunit à la maison du poète. Il veut unir plus étroitement musique et poésie, avec des lois communes, en appliquant les vers mesurés à l’antique, une réforme de l’orthographe et de la prononciation, et de distinguer par des signes les syllabes longues des syllabes brèves. Son expérience et ses études personnelles en matière de poésie sont précieuses et il partage son savoir avec Claude Lejeune, Eustache de Caurroy, Jacques Mauduit…
    1570, c’est aussi l’année où Jean Antoine publie « les étrènes de poézie fransoeze en vers mezurés », une tentative de réforme de l’orthographe en écrivant phonétiquement, en éliminant les lettres superflues, en créant des caractères alphabétiques supplémentaires.
    Imaginez ce que serait l’orthographe aujourd’hui si Jean Antoine avait réussi à l’époque à persuader tout le monde d’employer « l’egzakte ékriture konform o parlèr an tous les élémans d’iselui ».
    En 1573, Charles IX lui donne « moyen et courage » de réunir et publier ses vers. Ce sera « Euvres en rime », travail selon lui de vingt-trois années. Malheureusement, dans cette œuvre considérable, il a aussi intégré nombre de rogatons, ébauches, rognures, épreuves manquées… Il a aussi retouché ses œuvres, en particulier les « amours », malgré ses dires, car sur cette, la langue poétique a évolué, ainsi que la grammaire.
    A quarante ans, dépité, il s’estime « pauvre », une pauvreté relative par rapport à Jodelle, mort dans la misère, mais bien en dessous du niveau de vie de ses amis Ronsard et Dorat.
    Pourtant, avec eux, il distrait le roi Charles IX quand il ne peut aller à la chasse à cause du mauvais temps ou de chaleur extrème.
    S’il faut voir dans l’expression de cette pauvreté une obligation quasi-professionnelle de quémander faite à l’artiste de l’époque, en plus dans une période troublée et de vaches maigres pour beaucoup après la prodigalité des Valois, il y a aussi pour Jean Antoine de la déception, car malgré ses efforts et sa notoriété, il reste dans l’ombre de Ronsard en particulier et quelques autres autour de lui tirent mieux les marrons de feu qu’il ne sait faire. L’argument financier n’est qu’un exutoire et un argument pour l’extérieur pour masquer cette « injustice » qu’il ressent. Nous verrons par la suite qu’il a été souvent spolié, à des niveaux divers.


    « Je cuidoy pour avoir salaire
    Que ce fust assez de bien faire
    Et qu’ainsi l’on gangnoit le pris.
    En cette sote fantaisie
    Le métier de la Poésie
    J’ay mené bien près de vingt ans. »



    Sous Henri II, durant les années 1550, le protestantisme se répand malgré les édits répressifs et la situation se tend dès 1557 de manière inquiétante, avec des émeutes de réformés et une tentative d’assassinat du roi. En 1559, l’édit d’Ecouen stipule que tout protestant révolté ou en fuite sera abattu. Le 10 juin, le roi embastille ceux qui critiquent sa politique. Tous se rétractèrent sauf Anne du Bourg qui quelque mois après, malgré la mort du roi due à une blessure en tournoi, sera brûlée vive.
    Le traité du Cateau-Cambrésis en 1559, entérine un déclin militaire face à l’Espagne et l’Angleterre et la fin des guerres d’Italie.
    Le règne de François II à partir de 1559 est dominé par une importante crise politique, financière et religieuse. Les Guise qui ont la faveur du Roi, sont perçus comme des étrangers et sont les garants en France de la religion catholique. La « conjuration d’Amboise » menée par des protestants pour retirer le jeune roi de la tutelle des Guise échoue. La répression fera entre 1200 et 1500 morts. Mais la province se soulève avec l’appui secret des deux premiers prince de sang, Condé et Navarre. Condé est arrêté le 31 octobre 1560. Le roi meurt en décembre et Catherine de Médicis le fait relâcher. Charles IX est roi à dix ans. Les guerres de religions débutent en 1562 et Jean Antoine ne devait jamais en connaître la fin, même si les périodes de paix alternent avec de nouvelles hostilités, des massacres et de cruelles exécutions. Condé meurt assassiné après sa reddition durant la Bataille de Jarnac en 1569 face à Henri d’Anjou. Nouvelle paix, dite de Saint Germain en 1570.
    En 1572, alors que le mariage de la sœur du Roi, Marguerite, avec le prince de Navarre, futur Henri IV semble être un gage de réconciliation durable, (Jean Antoine leur a dédié ses « Devis des Dieux), un attentat quatre jours après contre Gaspard II de Coligny, chef des Huguenots, fait craindre à Charles IX un nouveau soulèvement et il organise l’élimination des chefs protestants, sauf le prince de Condé et Henri de Navarre. Cette décision déclenche le massacre de la Saint-Barthélémy, avec de terribles exactions de la part de l’entourage royal. La guerre reprend dans le royaume (siège de la Rochelle) et le roi, en 1573 est fort faible.
    À la cour règne donc une atmosphère de peur et de complot, peu favorable aux poètes et à l’optimisme.

     

     

     

     

     

     

     

    Sous le règne d’Henri III


    Le 31 mai 1574, Charles IX s’éteint. Ambroise Paré procède à l’autopsie et confirme la mort par pleurésie.
    Son frère Henri, alors roi de Pologne, ex-duc d’Anjou, s’enfuit de son palais pour prendre le trône de France. D’emblée, il doit faire face à la guerre et aux complots à la cour, fomentés par le duc d’Alençon, et du roi de Navarre (futur Henri IV)
    Il est sacré à Reims le 13 février 1575 sous le nom d’Henri III et entame la sixième guerre de religion.
    Privée de son parrain, l’activité de l’Académie de musique et de poésie décline.
    Et pourtant, Baif qui à cette époque est l’écrivain qui a composé le plus de vers mesurés et de poèmes de toutes sorte. Les vers rimés lui semblent une mode barbare. Mais il doit s’y replonger, et ne publie pas la plupart de ses œuvres en vers mesurés de cette période. Du Verdier, Binet, Boissard, Rapin, Sainte Marthe saluent en lui le rénovateur de cet art, et attribue l’insuccès de Baif aux préjugés du public et au « style ferré » du poète. Il en est aujourd’hui considéré comme l’inventeur, par ceux bien rares qui le connaissent, bien sûr.



    A suivre...

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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