• Je déteste Noël (Hélène Ourgant)

     

    Je déteste Noël

     

     


    Oui, je déteste Noël et toutes les fêtes programmées, parce qu’elles sont accompagnées de réjouissances tout aussi programmées, rendues quasiment obligatoires par les diktats commerçants, les traditions sociétales.
    Je n’aime pas cette obligation d’être heureux ou réjouis tous en même temps, dans la mesure où les motivations évoluent dans un sens mercantiliste, j’ai le sentiment dans cette avalanche d’appels à la consommation que tout ce qui donne un sens de rassemblement joyeux, familial, tout ce qui éveillerait des émotions est secondaire. Un bon nombre de « relation à l’autre » passe par l’objet et sa valeur pécuniaire. C’est en même temps une aggravation du sentiment de solitude, une stigmatisation de l’isolement par le rappel incessant de ces moments de rassemblements.

    Alors, je déteste Noël, mais pas le Noël de mon enfance.
    Celui-là, dans la chaleur de la maison rassurante, avec, au bout des branches du sapin, le scintillement des vraies bougies clipsées que l’on allumait quelques instants, me laisse des souvenirs inoubliables.
    J’aimais les guirlandes et les boules brillantes et multicolores, les cheveux d’ange éparpillés sur la ramure pour figurer les flocons de neige.
    Pour cacher le pied du sapin, on l’entourait de papier kraft dont la peinture imitait les rochers. Dans un creux aménagé pour simuler une sorte de grotte, on installait les personnages de la crèche. Cela m’enchantait de voir l’âne et le bœuf ainsi réunis pour chauffer de leur souffle le petit berceau et l’enfant. Les rois mages semblaient monter un chemin aménagé dans un sillon du papier.
    Nous mangions au réveillon, dans les rires et la gaieté, toute la famille réunie, les mets que l’on ne trouve pas quotidiennement à table.
    Le lendemain de la veillée, je trouvais mon cadeau, et une bûche en chocolat creusée pour accueillir un petit Jésus en sucre. J’adorais cette friandise, et si on me la présentait encore aujourd’hui, je la mangerais avec autant de plaisir.

    J’aime ces jours-là, ils avaient un éclat et une douceur particuliers, quelque chose d’enchanteur qui permettait la venue du gros bonhomme rouge et de toutes les féeries.
    Le Noël était une fête familiale, discrète. Pas de lumières clignotantes au-dehors, hormis les guirlandes électriques de la ville.
    Pas de publicités dans les médias de toutes sortes. On finit par nous faire croire que même les chiens attendent avec impatience de recevoir leur os à mâcher emballé de papier doré.
    Les autocollants, les décors forcément rouges et blancs des commerces et leurs affichages, les images de Pères-Noël joufflus et réjouis donnent une impression de fête convenue, où l’on est contraint de se réjouir, et l’on nous amène à penser que l’échange de cadeaux originaux est incontournable, que l’on se doit d’organiser des repas exceptionnels en décors et en abondance de nourritures pour démontrer que l’on a su fêter comme il se doit.
    Bref, des motifs mercantiles ternissent l’aspect familial ou religieux de cette fête.

    Dans les Noëls de mon enfance, on ne trouvait pas de faux Pères-Noël à tous les coins de rues, seulement celui du Prisunic, qui distribuait des bonbons devant le magasin.
    Ainsi pour la petite fille que j’étais, pas de doute. Le Père-Noël venait sur terre visiter les enfants, pour savoir s’ils étaient sages et retournait dans son chalet fabriquer tous les jouets commandés.
    C’était du moins l’explication qu’on m’en avait donné et elle a suffi à me contenter jusqu’à ce que je sois en âge de comprendre la vérité.
    Avec les Pères-Noël commandités par les commerces et les associations diverses, il faut inventer un nouveau mensonge à cette légende du Père-Noël, pour expliquer aux enfants étonnés pourquoi l’on rencontre autant de ces bonshommes rouges.

    Une fois la mystification éventée, mes Noëls ont perdu petit à petit leur magie, pour laisser place depuis quelques années à l’irritation face au déballage médiatique, publicitaire qui débute longtemps avant les fêtes.
    Alors, je pense à tous ceux qui sont seuls pour passer les fêtes, à tous ceux qui ne peuvent pas se créer un Noël d’abondance, à tous ceux qui passent leur Noël dans une institution, qui auront droit à un repas amélioré et puis au lit ; il faut que le personnel de jour aille réveillonner.
    Pour eux, le rappel incessant d’un Noël réussi et chaleureux, dans l’abondance doit exacerber la douleur de la solitude ou de la pauvreté.

    Les yeux des enfants perdent leur scintillement quand ils découvrent la duperie des adultes : le Père-Noël n’existe pas.
    Malgré les paillettes, l’atmosphère festive artificielle, quand le cercle familial se restreint, la fête prend un goût d’amertume.
    Alors, à l’approche de cette fête, je préfère de temps en temps me replonger dans mes souvenirs, un peu flous, un peu usés, le sapin, la lumière tendre, les visages familiers plus jeunes, gais, mes poupées, les chocolats, les…

     

     

     

     

     

     

     

     

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